Jean-Marc Leresche, diacre de la paroisse de La Neuveville (BE) et responsable de La Margelle en Ville de Neuchâtel, est venu célébrer le culte de dimanche 25 octobre dans notre paroisse. Il fait l’amitié de partager le texte de sa prédication.
Première lettre aux Thessaloniciens 1, 1-10
De la part de Paul, Silvain et Timothée à l’Eglise des Thessaloniciens qui est en Dieu le Père et dans le Seigneur Jésus-Christ: que la grâce et la paix vous soient données de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ! Nous disons constamment à Dieu toute notre reconnaissance pour vous tous en faisant mention de vous dans nos prières. Nous nous rappelons sans cesse l’œuvre de votre foi, le travail de votre amour et la fermeté de votre espérance en notre Seigneur Jésus-Christ, devant Dieu notre Père. Nous savons, frères et sœurs aimés de Dieu, qu’il vous a choisis parce que notre Evangile ne vous a pas été prêché en paroles seulement, mais avec puissance, avec l’Esprit saint et avec une pleine conviction. Vous savez en effet comment nous nous sommes comportés parmi vous à cause de vous. Vous-mêmes, vous êtes devenus nos imitateurs et ceux du Seigneur en accueillant la parole au milieu de grandes difficultés, avec la joie du Saint-Esprit. Ainsi, vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants de la Macédoine et de l’Achaïe. En effet, non seulement la parole du Seigneur a retenti depuis chez vous en Macédoine et en Achaïe, mais c’est aussi partout que votre foi en Dieu s’est fait connaître, de sorte que nous n’avons pas besoin d’en parler. De fait, on raconte à notre sujet quel accueil nous avons eu auprès de vous et comment vous vous êtes tournés vers Dieu en abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et vrai et pour attendre du ciel son Fils qu’il a ressuscité, Jésus, celui qui nous délivre de la colère à venir.
Évangile selon Matthieu 22, 34-40
Les pharisiens apprirent qu’il avait réduit au silence les sadducéens. Ils se rassemblèrent et l’un d’eux, professeur de la loi, lui posa cette question pour le mettre à l’épreuve: «Maître, quel est le plus grand commandement de la loi?» Jésus lui répondit: «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est le premier commandement et le plus grand. Et voici le deuxième, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes.»
Pour quelques millimètres…
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée » et « tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Chers Amis, chers frères et sœurs,
Ces paroles, nous les connaissons par cœur. Elles nous sont rappelées dimanche après dimanche. On le sait bien. On essaie tant bien que mal de les mettre en pratique, de leur donner de la consistance dans nos rencontres et dans notre vie de croyants, dans notre Église. On essaie. Parce que ce n’est pas toujours ni facile ni évident. Mais, tout cela, on le sait déjà. Il n’y a vraiment rien de nouveau sous le soleil.
Et je me dis qu’aujourd’hui, l’Évangile n’a vraiment, mais alors vraiment, rien d’extraordinaire ! Je pense même que je ne devrais pas en rajouter, parce que tout est dit. Parce que tout a été dit ! Tout le reste ne serait que garniture, futile et inutile. Je devrais sans doute en rester là et dire « Amen ».
Mais ce serait sans doute un peu court. Trop court.
En rester là, ce serait sans compter avec l’actualité. Cette actualité tragique qui a secoué la France et au-delà de ses frontières : un professeur décapité par un jeune Russe tchéchène de 18 ans, parce qu’il avait montré des caricatures du Prophète Mahomet dans un cours à propos de la liberté d’expression. Un attentat, un de plus. Un de trop qui nous place devant la liberté républicaine et la radicalisation politico-religieuse. Devant la révolte et la sidération. Et cette question : Comment est-ce possible ?
En réfléchissant aux paroles de l’Évangile teintées de celles de l’actualité, en les méditant, en les répétant et les ruminant, il m’est venu le tableau de Michel-Ange, « La Création d’Adam » qui orne le plafond de la Chapelle Sixtine. Allez savoir pourquoi… Les voies du Seigneur sont impénétrables et les effets de son Esprit me surprendront toujours.
Je dois avouer que ce tableau, de prime abord, ne me parle pas. On y voit à gauche Adam, le premier homme, l’humain, le « terreux », un athlète, forcément beau et parfait, s’il est à l’image du Créateur. Et à droite, Dieu, sous les traits d’un homme, lui aussi, vieillard et barbu. Ce tableau répond bien évidemment aux canons de l’art de la Renaissance.
Peut-être pourrait-on voir dans ce tableau une caricature… Ou bien une manifestation de la liberté d’expression.
La mise en scène montre chacun des personnages tendant un doigt vers l’autre.
C’est justement ce détail du tableau qui m’a toujours attiré, qui m’interpelle, qui me parle : l’espace entre les doigts de l’Adam et de Dieu. Un espace de quelques millimètres, de quelques centimètres tout au plus, mais qui font toute la différence. Toute la différence entre l’humain et le Divin. Car, l’homme n’est pas Dieu. Cet infime espace que j’appelle liberté. Cet infime vide que je remplis d’autonomie, d’authenticité, d’individualité… fait toute la différence.
Je crois que la différence entre notre condition humaine et la sainteté de Dieu se joue entre ces deux doigts proches mais qui ne se touchent pas. Cet infime espace ouvre au gouffre qui sépare l’humain de Dieu.
Et en même temps, l’extrême proximité montre qu’il est impossible d’envisager l’humain sans le Divin ni le Divin sans l’humain.
Dès les commencements, Dieu a cherché le dialogue avec l’humain. En cela, il se distancie de ces autres dieux despotiques qui se jouent de l’humain, faisant de lui une marionnette ou un jouet !
Dès les origines, la relation de Dieu avec l’humain est dialogue ; il y a recherche de dialogue de la part de Dieu. Parcourant le jardin d’Eden, Dieu s’adresse à l’homme : « Où es-tu ? » (Genèse 3,9).
Toute l’histoire entre Dieu et son peuple sera accompagnée de cette question : « Où es-tu ? » Cette histoire faite de dialogues, de proximités et d’éloignements, mais jamais d’abandons. Car Dieu, malgré tous les aléas de l’existence et de la relation avec son peuple, saura se montrer fidèle.
Alors à la lumière de cette histoire qui est la nôtre aussi, est-il seulement possible d’envisager qu’un des deux acteurs de ce dialogue soit oublié, effacé ? Est-il possible d’envisager Dieu seul, déconnecté de l’humain ? Est-il seulement envisageable de penser l’humain, déconnecté du Divin ? Répondre « oui » à ces questions, c’est passer du dialogue au monologue.
Prétendre aimer Dieu sans prêter la moindre attention à son prochain, à mon frère, à ma sœur, en humanité, c’est entrouvrir la porte à toutes les radicalisations, à tous les fondamentalismes les plus dangereux. L’actualité nous en a donné un triste exemple.
C’est faire un dieu à son image, correspondant à ce que je crois, à ma vérité qui ne souffre d’aucune remise en question.
C’est refuser toute confrontation, tout dialogue, toute mise à distance et s’enfermer dans une compréhension d’un dieu qui pense ce que je pense, qui croit ce que je crois.
Tout le contraire du message de la Bible !
Prétendre évacuer Dieu de la vie humaine, de la société, de l’espace public, politique, économique, social, c’est pratiquer une laïcité à l’extrême qui tend à l’intolérance, qui gomme toute différence et tout dialogue, par la même occasion. C’est certainement se forger d’autres dieux qui fondent notre vivre ensemble, même si on leur donne d’autres noms. C’est devenir dieu (minuscule) à la place de Dieu (Majuscule).
La Bible regorge de mises en garde à ce sujet !
Vivre sans Dieu, et je l’ai lu quelque part, c’est comme jouer au football sans ballon. Il manque l’essentiel.
Le message des Écriture tient à cette proximité du Divin et de l’humain. Tout comme dans un couple, il ne peut y avoir de relation saine, faite de liberté, d’amour, de respect, de dialogue, que si chacun des conjoints dispose de cet espace pour être qui il·elle est appelé·e à être. C’est là ce que veut Dieu pour chacun de nous, pour chacun de ses enfants.
Alors, aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa pensée et son prochain comme soi-même deviennent les deux faces d’une même pièce, celle de nos vies. Aimer Dieu et son prochain, c’est se souvenir que nous sommes à l’image de Dieu qui est d’abord amour.
Et son amour implique qu’il existe pour chacun et chacune cet espace de devenir qui il·elle est en vérité.
C’est rappeler aussi que nous sommes à la fois faits de chair et de sang, de « poussière », pour reprendre les origines du livre des commencements, mais aussi animés du Souffle de Dieu.
Ainsi, et Jésus le rappelle, il n’y a pas de hiérarchie entre le commandement d’amour pour Dieu et celui pour le prochain. Il n’y a surtout pas de distinction à faire entre ces deux appels à aimer.
« Aime Dieu de tout ton cœur, de toute ta pensée et de toute ton âme », voici le premier commandement et le second qui lui est semblable : « Aime ton prochain comme toi-même ». Deux exigences. Car il n’est pas question ici de concepts philosophiques ni de bonnes résolutions du Nouvel-An. Ce sont bien des paroles venant de Dieu, des paroles de vie et qui donnent de la vie à la vie. Pas juste le dimanche matin, mais jour après jour, dans le creux de nos existences humaines, dans toutes leurs nuances et couleurs.
Et de ces deux commandements dépend tout le reste. Tout coule de source. Si l’amour de Dieu et l’amour du prochain sont en tête de nos préoccupations, donnent du sens à notre existence, à nos engagements, à notre manière de travailler, à nos rencontres et aux relations que nous tissons, alors il n’y a pas à réfléchir, tout se fera logiquement.
Si nous puisons à la Source du Christ, Dieu parmi les hommes, l’amour qui nous anime, alors nous saurons allier cet amour et cette liberté pour le Divin et pour l’humain.
Lui, le Christ, nous a montré par son attention aux plus faibles, comment ce double commandement peut se muer en dialogue, dans un regard, une parole, une main tendue, un geste qui disent tout l’amour que Dieu adresse à chacun de nous ici et au-delà, lui laissant l’espace nécessaire et essentiel pour être son enfant en toute liberté.
Amen.