Sérieux ? – méditation pour le Mercredi saint

J’ai l’impression que c’est déjà un peu du passé – que la mode passe vite ! –, mais on a beaucoup parlé du papier-toilette il y a trois à quatre semaines. Tous les médias rapportaient des scènes de frénésie d’achat. Beaucoup d’esprits fins s’en étaient inspirés dont voici un exemple.

© Theo Moudakis, dans le journal « The Toronto Star » du 11 mars 2020

On sait que cette ruée sur le papier toilette fut un évènement quasi mondial. Les interprétations qui tentaient d’expliquer ce phénomène n’ont pas tardé à venir, et elles furent nombreuses : psychologique, sociologique, médiatique, etc., etc.

Je me suis rappelé la ruée vers cet objet de mode, heureusement de courte durée, et la multiplication des interprétations qui l’ont suivie, en lisant ce qui s’était passé le Mercredi saint.

La Pâque et la fête des pains sans levain devaient avoir lieu deux jours après. […] Jésus était à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux et, pendant qu’il était à table, une femme vint, avec un flacon d’albâtre contenant un parfum de nard, pur et très coûteux. Elle brisa le flacon d’albâtre et lui versa le parfum sur la tête. Quelques-uns se disaient entre eux avec indignation : « A quoi bon perdre ainsi ce parfum ? On aurait bien pu vendre ce parfum-là plus de trois cents pièces d’argent et les donner aux pauvres ! » Et ils s’irritaient contre elle. Mais Jésus dit : « Laissez-la, pourquoi la tracasser ? C’est une bonne œuvre qu’elle vient d’accomplir à mon égard. Des pauvres, en effet, vous en avez toujours avec vous, et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien. Mais moi, vous ne m’avez pas pour toujours. Ce qu’elle pouvait faire, elle l’a fait : d’avance elle a parfumé mon corps pour l’ensevelissement. En vérité, je vous le déclare, partout où sera proclamé l’Evangile dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d’elle, ce qu’elle a fait. » (évangile selon Marc 14,1a.3-9 – traduction TOB)

Une femme verse de l’huile sur la tête de Jésus à Béthanie. Spontanément, c’est-à-dire quand on se met dans la peau des gens de l’époque de ce monde biblique, deux interprétations sont possibles sur le geste de la femme : soit elle est amoureuse de lui, soit elle fait un geste symbolique de l’onction royale. Les descriptions de Luc (7,36-38) et Jean (12,1-8) inspirent la première supposition en soulignant la sensualité du geste de la femme : l’huile versée sur les pieds de Jésus, la caresse des cheveux. Matthieu (26,6-13) et Marc décrivent la scène beaucoup plus sobrement en faisant couler l’huile sur la tête, ce qui évoque plutôt la reconnaissance de la royauté de Jésus.

Or, aucune de ces deux interprétations ne fera écho. Certains de ceux qui sont présents interprètent le geste de la femme selon la logique du rendement économique, Jésus l’interprète pour ainsi dire selon « l’illogique » du Règne de Dieu à l’approche de sa mort. Eux s’indignent et font des reproches à la femme, Jésus la relève. Une interprétation condamne ce qui s’est passé et ferme tout avenir, l’autre donne un sens au passé et ouvre un horizon.

Les pauvres, nous en avons en effet toujours avec nous. L’Église est même l’Église de et pour les pauvres. Comment ne pourrait-elle pas l’être car sa tête, le Christ lui-même, a été le pauvre des pauvres en allant jusqu’à la croix ? L’Église est le rassemblement de celles et ceux qui n’ont pas peur de gaspiller le peu d’huile que nous possédons sur la tête et les pieds des pauvres. De quoi aurons-nous peur, car le Christ est celui qui a promis le souvenir éternel à cette femme anonyme ?