Balade historique: A la Réforme, on ne badinait pas avec la discipline

Une cohorte de randonneurs dominicaux a récemment participé à une balade historique entre Valangin et Engollon. Cette excursion leur a notamment permis de mieux connaître quelques-unes des richesses du patrimoine architectural vaudruzien. Les marcheurs ont également pu se familiariser avec certaines formes de discipline instaurées à la Réforme

Conduite par Jacques Bujard, chef de l’Office du patrimoine et de l’archéologie du canton de Neuchâtel (OPAN), et Elisabeth Reichen, diacre et animatrice à l’EREN, la virée pédestre a débuté par une captivante présentation de l’histoire de la Collégiale de Valangin. Tout au long de la journée, Elisabeth Reichen a évoqué, avec moult anecdotes tirées d’un ouvrage de l’historienne Michèle Robert, la nature des groupes de discipline et des consistoires – seigneuriaux et admonitifs –, les replaçant dans le contexte historico-stratégique de l’époque.

En préambule, l’intervenante a rappelé que lorsque la ville de Neuchâtel accepte la Réforme – 4 novembre 1530 –, la comtesse Jeanne de Hochberg se trouve retenue à la cour de France et que son gouverneur ne parvient pas endiguer le mouvement. Elisabeth Reichen précise que la puissance dont les Neuchâtelois souhaitaient ne pas perdre la faveur n’est pas la souveraine mais leurs Excellences de Berne avec lesquelles ils ont d’anciens traités de combourgeoisie. Il en va de même pour René de Challant, seigneur de Valangin.

Lui aussi allié de Berne, il impose la Réforme sur ses terres en 1539, malgré la forte résistance de la comtesse Guillemette de Vergy, sa grand-mère, qui le représente dans la seigneurie. Situation étrange, donc, que celle d’un comté et d’une seigneurie de Valangin dont les souverains sont catholiques et promulguent des ordonnances réformées par obligation ou par intérêt plus que par conviction.

Le travail de sape de Calvin

Poursuivant son flash-back, Elisabeth Reichen note que sur le plan théologique ou ecclésial, la position de Neuchâtel est encore plus particulière. «Une Réformation de type zwinglien a été importée et quasi imposée par Berne. Mais l’agent bernois, qui deviendra pasteur de Neuchâtel, est Guillaume Farel. Une personnalité dont les liens avec Calvin sont étroits.»

Corollaire: Calvin tente sans cesse d’infléchir la discipline ecclésiastique neuchâteloise dans le sens de celle qu’il veut pour Genève. Pour le réformateur du bout du Léman, la discipline est une marque de la vraie Eglise.

«Maintenir la pureté de l’Eglise, éviter la contagion du péché, susciter la pénitence, tous ces buts impliquaient l’usage de l’excommunication ou, du moins, de la suspension de la cène pour un temps. Calvin confia aux membres des conseils genevois la tâche d’anciens du consistoire, exprimant ainsi la responsabilité partagée des autorités civiles et religieuses dans l’exercice de la discipline», indique Elisabeth Reichen.

L’insatisfaction des pasteurs neuchâtelois

Dans le cas neuchâtelois, pasteurs et Conseil d’Etat vont vivre, trois siècles durant, dans un certain flou concernant leurs prérogatives disciplinaires. Après la mise sur pied de quatre consistoires seigneuriaux, sous la pression de Berne, les pasteurs, loin de se satisfaire de ces cours mixtes, obtiennent, une trentaine d’années plus tard – en 1562 – la création de consistoires paroissiaux purement «admonitifs».

Présidée par le pasteur, mais en présence du maire, cette assemblée citait à comparaître devant elle ceux qui avaient contrevenu aux ordonnances. La seule sentence qu’elle pouvait appliquer était l’admonestation fraternelle et, parfois, l’excommunication temporaire, souligne Elisabeth Reichen. Ce dernier droit était cependant contesté par les consistoires seigneuriaux.

Les délits s’inscrivaient dans trois groupes de discipline: les atteintes à la morale sexuelle, les comportements scandaleux et les manquements à la discipline ecclésiastique. Une ordonnance publiée en 1538 énonce, par exemple, l’obligation de se rendre au culte dominical. En 1712, la Discipline de la Vénérable Classe précise: «On fera venir en consistoire ceux qui profanent le Jour du Dimanche en faisant des voyages non nécessaires […] comme aussi ceux qui s’absenteront sans nécessité des Saintes Assemblées.»

Les «surveillants» s’en donnent à cœur joie

Quelques paroissiens sont ainsi suspectés d’entretenir encore des rapports avec l’Eglise catholique. Elisabeth Reichen narre qu’en 1553, Vuillemin Morel, des Geneveys-sur-Fontaines, est cité «pour ne pas vouloir hanter les sermons et désirer plus la messe que l’Evangile». D’autres ont joué aux quilles ou aux cartes pendant le sermon. En 1566, Jean Grandjean-Contesse est accusé d’avoir «fréquenté des filles de chemin pendant la prédication». Presque un siècle plus tard, en 1657, un groupe de huit personnes est cité pour avoir joué aux cartes chez l’une d’entre elles pendant le prêche un jour de jeûne.

Si les ordonnances pour la ville mentionnent en priorité la défense de commercer, les activités les plus fréquemment mises en cause dans la région sont liées, de près ou de loin, aux travaux agricoles. Les prévenus se défendent souvent en invoquant des raisons impérieuses qui les ont contraints à travailler ou à se déplacer un dimanche. Ils n’obtiennent pas pour autant la clémence des juges.

«En 1560, Antoine Girardier et ses deux fils ont dû réparer leur char qui s’était cassé le samedi soir. Ils n’ont pu le ramener chez que le dimanche. Ils sont condamnés à une amende de 60 sous chacun et à la réparation publique», note Elisabeth Reichen, qui conclut: «En 1665, Jean Billon est condamné à une amende de cinq livres pour être monté sur son toit couvert d’une masse de neige telle que l’eau coulait dans sa maison, sur le lit même de sa femme malade. Les juges admettent l’urgence de la situation, mais il aurait dû faire une demande au pasteur avant de prendre le risque de scandaliser la communauté.»

Après de brèves escales à la Borcarderie, à Landeyeux et à la Bonneville, la randonnée a pris fin au temple d’Engollon. Ainsi qu’il l’avait fait auparavant à Valangin, Jacques Bujard a retracé en détail l’histoire du lieu. Passionnants et fort accessibles, ses commentaires ont permis à l’auditoire ambulant de comprendre les nombreuses étapes qui ont jalonnées la construction de ce petit bijou du patrimoine architectural neuchâtelois.