{"id":3940,"date":"2022-10-04T20:51:48","date_gmt":"2022-10-04T18:51:48","guid":{"rendered":"https:\/\/www.eren.ch\/barc\/?p=3940"},"modified":"2022-10-15T10:47:36","modified_gmt":"2022-10-15T08:47:36","slug":"le-cantique-des-cantiques-adorable-subversion","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/www.eren.ch\/barc\/2022\/10\/04\/le-cantique-des-cantiques-adorable-subversion\/","title":{"rendered":"Le Cantique des Cantiques, adorable subversion !"},"content":{"rendered":"\n

Conf\u00e9rence de Th\u00e9r\u00e8se Glardon donn\u00e9e \u00e0 B\u00f4le,
paroisse de la BARC, le 28.09.2022.<\/h2>\n\n\n
\n
\"\"<\/figure><\/div>\n\n\n

Cette appellation de subversion<\/strong> se pr\u00eate admirablement \u00e0 ce livre car on s\u2019est de tout temps pos\u00e9 la question\u00a0: Que vient faire dans la Bible ce recueil de chants d\u2019amour passionn\u00e9 aux accents \u00e9rotiques et profanes\u00a0?<\/p>\n\n\n\n

Il remonterait \u00e0 l\u2019\u00e9poque hell\u00e9nistique (3\u00e8me<\/sup> s. av. J.-C.), mais il t\u00e9moigne d\u2019une litt\u00e9rature qui remonte au 3\u00e8me<\/sup> mill\u00e9naire avant notre \u00e8re, une po\u00e9sie d\u2019amour entre dieux et d\u00e9esses ou entre les humains et les dieux. Le Ct des ct ressemble \u00e0 un \u00e9pithalame, un chant compos\u00e9 pour un mariage, o\u00f9 chacun des deux partenaires s\u2019extasie devant la beaut\u00e9 de l\u2019autre et ne tarit pas d\u2019\u00e9loges. Car le Ct chante avant tout la beaut\u00e9 physique, voil\u00e0 qui est unique dans la Bible h\u00e9bra\u00efque, l\u2019union amoureuse sans souci de procr\u00e9ation, ni m\u00eame de claire r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 Dieu !<\/p>\n\n\n\n

Lorsqu\u2019il a fallu fixer le Canon biblique dans le monde juif au 1er<\/sup> s. de notre \u00e8re, (c-\u00e0-d d\u00e9cider quels \u00e9crits \u00e9taient consid\u00e9r\u00e9s comme inspir\u00e9s), on assista \u00e0 des d\u00e9bats tout aussi passionn\u00e9s que les \u00e9changes des amoureux du Cantique – mais sur un autre mode bien s\u00fbr. Fallait-il l\u2019accepter ou le bannir ? Car on le chantait gaillardement dans les tavernes et lors des mariages\u2026 mais  on le trouvait aussi parmi les \u00e9crits sacr\u00e9s des Ess\u00e9niens de la communaut\u00e9 de Q\u00fbmran (2\u00e8me-1er<\/sup> s. av.) et on le chantait \u00e0 la Synagogue lors de la liturgie de la P\u00e2que juive. Au 1er<\/sup> s. de notre \u00e8re, Rabbi Aqiba en particulier se fit l\u2019ardent d\u00e9fenseur de l\u2019acceptation du Ct dans les \u00e9crits bibliques. Il disait que ce livre parmi les plus courts \u00e9tait celui qui \u00e9tait le plus n\u00e9cessaire \u00e0 la Bible, et que le monde n\u2019avait ni valeur ni sens avant que le Ct  f\u00fbt donn\u00e9 \u00e0 Isra\u00ebl. Il avait per\u00e7u que cet amour allait bien au del\u00e0 d\u2019une relation terrestre, il avait per\u00e7u sa dimension transcendante.<\/p>\n\n\n\n

En effet, ce livre fascinant est porteur d\u2019un double myst\u00e8re : le myst\u00e8re de l\u2019amour humain en lui-m\u00eame, et le myst\u00e8re de ce qu\u2019il symbolise : le lien d\u2019amour unique entre Dieu et les siens. En fait, cette histoire d\u2019amour entre deux \u00eatres nous r\u00e9v\u00e8le un fol amour divin offert \u00e0 chacun d\u2019entre nous \u2013 \u00ab Si vous ne captez pas cela, martelait Rabbi Aqiba, vous ne pouvez avoir part au royaume \u00e0 venir (c-\u00e0-d au bonheur qui vous est pr\u00e9par\u00e9) ! \u00bb –<\/p>\n\n\n\n

Et durant des si\u00e8cles la controverse a fait rage : les d\u00e9tracteurs du Ct affirmaient qu\u2019il \u00e9tait tout sauf inspir\u00e9, qu\u2019il \u00e9tait libertin etc\u2026, bref que cet \u00e9crit \u00e9tait bien subversif au sens n\u00e9gatif<\/em>, que ce n\u2019\u00e9tait qu\u2019un \u00ab divertissement de scribes \u00bb, un commentaire actuel le qualifie de \u00ab r\u00eaverie de lettr\u00e9s en mal d\u2019amour \u00bb ! Et \u00e0 la R\u00e9forme, Castellion s\u2019est oppos\u00e9 \u00e0 Calvin pour mettre en garde le bon peuple face au danger de ce Po\u00e8me qui ne pouvait d\u00e9clencher que des passions fort peu \u00e9pur\u00e9es !<\/p>\n\n\n\n

Mais pour que vous puissiez vous-m\u00eame vous en faire une id\u00e9e, \u00e9coutons-en un extrait : (lire 5\u00e9me chant, 4, 1 \u00e0 9- livre[1]<\/strong><\/a> p. 20)<\/em><\/p>\n\n\n\n

N\u2019est-ce pas l\u00e0 la beaut\u00e9 de l\u2019amour c\u00e9l\u00e9br\u00e9 avec sa dimension physique, sensuelle et charnelle<\/strong>\u2026 et avec beaucoup de respect, d\u2019\u00e9merveillement, de puret\u00e9 devant le charme irr\u00e9sistible de celle qu\u2019il aime ?  Je suis persuad\u00e9e que le premier sens du texte, son sens obvie, \u00e9vident, est l\u00e0 pour justifier toutes ces dimensions de l\u2019amour humain longtemps d\u00e9valoris\u00e9es, m\u00e9pris\u00e9es, suspect\u00e9es de conduire au p\u00e9ch\u00e9.  Cet amour humain avec ses \u00e9lans, sa ferveur, ses espoirs, et m\u00eame ses malentendus et ses incompr\u00e9hensions, on le verra, est vraiment \u00ab bon, beau, r\u00e9ussi \u00bb, ainsi que le r\u00e9p\u00e8te le refrain de la Cr\u00e9ation : Dieu vit que cela \u00e9tait bon<\/strong><\/em> (Gn 1). Cet amour humain est divin (Dieu est amour,<\/em> celui qui aime est n\u00e9 de Dieu et conna\u00eet Dieu. 1 Jn 4, 17<\/em>). L\u2019amour humain est m\u00eame excellent <\/em>comme l\u2019indique le titre du livre : Le Ct des ct<\/em> est un superlatif. Non seulement il a pleinement sa place dans le livre saint, mais il a m\u00eame \u00e9t\u00e9 compar\u00e9 au Saint des saints<\/em>, l\u2019espace le plus sacr\u00e9 du Temple ! Il vient revaloriser nos histoires \u00e0 nous, nos entreprises d\u2019amour que nous estimons parfois bien imparfaites, bien pauvres et balbutiantes\u2026<\/p>\n\n\n\n

Je crois que ce livre vient justifier cet amour, l\u00e0 o\u00f9 il a \u00e9t\u00e9 sali, d\u00e9figur\u00e9, pi\u00e9tin\u00e9, et ce depuis l\u2019aube de l\u2019humanit\u00e9, si l\u2019on en croit les r\u00e9cits de violences, de vengeances, les histoires scandaleuses d\u2019abus et de viols, que la Bible ne craint pas de rapporter.<\/p>\n\n\n\n

La valeur du couple en lui-m\u00eame<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Subversion positive<\/em> cette fois : \u00e0 l\u2019\u00e9poque du Ct, les peuples voisins d\u2019Isra\u00ebl avaient de l\u2019amour une conception utilitaire, leurs religions instrumentalisaient la relation sexuelle pour assurer l\u2019abondance de la r\u00e9colte et la fertilit\u00e9 des troupeaux. Le roi s\u2019unissait \u00e0 la pr\u00eatresse pour symboliquement f\u00e9conder la terre. (lire citation de J. Lys, livre p.127-128)<\/em><\/p>\n\n\n\n

Or ici dans le Ct, rien de tout cela, on voit \u00ab un couple qui s\u2019aime, comme dit A-M Pelletier, dans une relation d\u2019\u00e9galit\u00e9 et de libert\u00e9, l\u2019un face \u00e0 l\u2019autre, l\u2019un pour l\u2019autre, d\u2019un amour o\u00f9 le charnel est spirituel et o\u00f9 le spirituel est incarn\u00e9 \u00bb. Le couple est envisag\u00e9 en lui-m\u00eame et pour lui-m\u00eame (cf Gn 2, 24).<\/p>\n\n\n\n

Pour l\u2019\u00e9poque, cette conception est subversive car elle nous pr\u00e9sente \u00ab l\u2019accomplissement sain et heureux d\u2019un amour partag\u00e9<\/strong> \u2013 un amour unique et exclusif dans une soci\u00e9t\u00e9 o\u00f9 r\u00e9gnait la polygamie et la domination de l\u2019homme sur la femme. \u00bb Ben Sira l\u2019affirme au 2\u00e8me<\/sup> s. av. J.-C. : \u00ab la position subordonn\u00e9e des f. juives \u00e0 l\u2019\u00e9poque est fortement marqu\u00e9e et \u00e9vidente \u00bb(livre p. 128).  On \u00e9tait dans un contexte socio-religieux franchement patriarcal, m\u00eame si l\u2019influence hell\u00e9nistique offrait certains espoirs d\u2019\u00e9mancipation, ceux-ci ne concernaient que quelques exceptions. Le divorce existait, certes, mais il \u00e9tait bien loin de favoriser l\u2019\u00e9galit\u00e9, car l\u2019homme pouvait r\u00e9pudier son \u00e9pouse pour quasiment n\u2019importe quelle raison futile, comme par ex. si elle avait mal fait la soupe ! La femme se voyait confin\u00e9e \u00e0 un r\u00f4le domestique, et r\u00e9duite \u00e0 une fonction de reproductrice.<\/p>\n\n\n\n

En lisant le Ct <\/em>on devine cet arri\u00e8re-fond patriarcal<\/strong>\u00a0que je pr\u00e9senterai \u00e0 l\u2019aide de 2 exemples\u00a0: – \u00ab\u00a0Elle\u00a0\u00bb se pr\u00e9sente\u00a0: (1, 5-6, livre p. 45-46). La figure paternelle est absente du Ct, <\/em>mais ses fr\u00e8res \u00e0 elle font la loi. Sans raison apparente ceux-ci l\u2019ont forc\u00e9e au dur travail de la vigne en plein soleil et l\u2019ont priv\u00e9 de l\u2019usufruit de son h\u00e9ritage \u00e0 elle\u00a0: ma vigne \u00e0 moi je n\u2019ai pas pu la garder <\/em>(1, 6).<\/p>\n\n\n\n

Alors que de nuit \u00ab\u00a0elle\u00a0\u00bb se lance seule dans la ville \u00e0 la poursuite de son aim\u00e9 qui l\u2019a quitt\u00e9e brusquement et sans explications, elle est frapp\u00e9e et violent\u00e9e par la patrouille des gardes suppos\u00e9s prot\u00e9ger la ville. En g\u00e9n\u00e9ral, les traductions \u00e9dulcorent\u00a0: Ils m\u2019ont arrach\u00e9 ma mantille <\/em>ou mon voile <\/em>(5, 7)\u00a0; <\/em>non il s\u2019agit du seul v\u00eatement, <\/em>que dans sa h\u00e2te elle avait enfil\u00e9. Je n\u2019ai trouv\u00e9 aucun commentaire qui proteste franchement\u00a0! Et pire encore, certains commentateurs accusent la victime\u00a0: la jeune femme aurait d\u00fb ouvrir imm\u00e9diatement au jeune homme\u00a0quand il est venu \u00e0 sa porte ! Tout est de sa faute \u00e0 elle\u00a0!! Alors mon livre ne se tait pas sur cet \u00e9pisode de violence sexualis\u00e9e faite aux femmes, abus qu\u2019il convient de d\u00e9noncer \u00e0 notre \u00e9poque du #Metoo.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Une pleine \u00e9galit\u00e9<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Le pire est que l\u2019on a justifi\u00e9 ce r\u00e9gime de patriarcat \u00e0 l\u2019aide de la Bible durant des si\u00e8cles.  Aujourd\u2019hui encore, malgr\u00e9 des \u00e9volutions n\u00e9cessaires et bienvenues, l\u2019\u00c9glise et la soci\u00e9t\u00e9 peinent encore \u00e0 s\u2019en lib\u00e9rer. C\u2019est sur cet arri\u00e8re-fond que le Ct offre la perspective innovante d\u2019une image du couple bas\u00e9e sur la pleine \u00e9galit\u00e9.Heureuse subversion !<\/em><\/p>\n\n\n\n

Car dans ce livre, tout ce qui est dit de Lui, le Bien-aim\u00e9, l\u2019est dit d\u2019Elle aussi, la Bien-Aim\u00e9e. Tout ce qu\u2019il fait, elle le fait aussi. Pas de diff\u00e9rences, mais une belle sym\u00e9trie d\u2019actions et de paroles et. En voici un exemple :<\/p>\n\n\n\n

\u00a0\u00a0\u00a0 Lui\u00a0: Que tu es belle, ma compagne, que tu es belle\u00a0! Tes yeux sont des colombes\u00a0derri\u00e8re ton voile ! <\/em>(4, 1)(\u00a0compagne<\/em>\u00a0 non au sens actuel\u00a0: mais au sens de \u00ab\u00a0mon\u00a0\u00e9gale, celle qui marche \u00e0 mes c\u00f4t\u00e9s, ma partenaire, ma toute-proche\u00a0\u00bb\u00a0!)<\/p>

\u00a0\u00a0\u00a0 Elle\u00a0: Que tu es beau, mon bien-aim\u00e9, que tu es doux et d\u00e9licieux !<\/em> (1, 16). Tout en toi est s\u00e9duisant, tout en toi n\u2019est que charme <\/em>(5, 16a)\u2026<\/em><\/p><\/blockquote>\n\n\n\n

Elle aussi vantera la beaut\u00e9 de ses yeux \u00e0 lui : Tes yeux sont comme des colombes se baignant dans du lait et reposant en pl\u00e9nitude <\/em>(5, 12).Elle aussi d\u00e9clarera tout \u00e0 la fin qu\u2019il est son  compagnon <\/em>, mot rare et tardif, dans la Bible, qui souligne l\u2019enti\u00e8re r\u00e9ciprocit\u00e9 entre les deux partenaires.<\/p>\n\n\n\n

Tour \u00e0 tour l\u2019un entra\u00eene l\u2019autre, l\u2019un initie l\u2019autre, pas de r\u00f4le passif c\u00f4t\u00e9 f\u00e9minin et de caract\u00e8re actif et entreprenant c\u00f4t\u00e9 masculin. Lui : L\u00e8ve-toi, viens mon amie, ma belle <\/em>(2, 10)\u2026 – Elle : Viens, mon bien-aim\u00e9, sortons, allons dans les champs, passons la nuit parmi les fleurs de henn\u00e9 !<\/em> (7, 2)<\/p>\n\n\n\n

Le Ct met aussi en valeur chez l\u2019homme des qualit\u00e9s longtemps consid\u00e9r\u00e9es comme purement f\u00e9minines – donc m\u00e9prisables pour l\u2019\u00e9poque: la beaut\u00e9, le charme, la douceur, la simplicit\u00e9 et la candeur, la puret\u00e9 et l\u2019innocence. Ici elles sont attribu\u00e9es \u00e0 l\u2019homme comme \u00e0 la femme, et la principale caract\u00e9ristique de lui, le bien-aim\u00e9, est qu\u2019il est plein de douceur, de paix <\/em>(5, 12. 16) ; il l\u2019emm\u00e8ne parmi les lys <\/em>(6, 2-3).<\/p>\n\n\n\n

Autre remarque : avant que l\u2019on ne parle de lib\u00e9ration de la femme, le Ct nous pr\u00e9sente une h\u00e9ro\u00efne entreprenante dans ses actions : elle s\u2019assure elle-m\u00eame son ind\u00e9pendance financi\u00e8re (8, 6). Elle est m\u00eame pr\u00e9sent\u00e9e sous des traits guerriers. Il dit qu\u2019elle est belle et jolie, et redoutable comme une arm\u00e9e rang\u00e9e en bataille ! D\u00e9tourne de moi tes yeux car ils me font la guerre \u2026(6, 4-5) <\/em>Il se dit m\u00eame \u00eatre un roi encha\u00een\u00e9 \u00e0 ses boucles (7, 6). <\/em>Bref, aujourd\u2019hui on s\u2019exclamerait comme dans la chanson connue : \u00ab Elle est terrible \u00bb !<\/p>\n\n\n\n

Le d\u00e9sir n\u2019est pas un pi\u00e8ge<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Curieusement, c\u2019est m\u00eame elle, qui par la libre expression de son d\u00e9sir ouvre le Ct. \u00c9coutons le\u00a0 Prologue\u00a0: <\/p>\n\n\n\n

Qu\u2019il m\u2019embrasse \u00e9perdument\u00a0!<\/em><\/p>

car tes caresses, tes \u00e9treintes sont meilleures que le vin<\/em><\/p>

\u00a0et meilleures que la senteur de tes parfums\u00a0!<\/em> (1, 2-3a)<\/p><\/blockquote>\n\n\n\n

Qu\u2019il me couvre de ses baisers <\/em>(autre traduction pour 1, 2a) :est-ce une introduction sage et convenable pour un livre biblique ? Voil\u00e0 qui est bien subversif !<\/p>\n\n\n\n

Laisser toute latitude au d\u00e9sir f\u00e9minin de s\u2019exprimer en premier lieu, voil\u00e0 encore qui est unique dans l\u2019\u00c9criture!  Et m\u00eame dans notre soci\u00e9t\u00e9, apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 longtemps tabou, ce n\u2019est que maintenant qu\u2019on accorde enfin \u00e0 ce d\u00e9sir l\u2019attention qu\u2019il m\u00e9rite. D\u00e8s les premi\u00e8res pages de la Bible, on a interpr\u00e9t\u00e9 le d\u00e9sir comme \u00e9tant suspect. Rappelez-vous la Gen\u00e8se : on pourrait croire que c\u2019est le d\u00e9sir<\/em> de la femme (traduit m\u00eame par avidit\u00e9<\/em>) qui a d\u00e9voy\u00e9 l\u2019homme avec la fameuse \u00ab pomme \u00bb  \u2026 – mais non ! Le texte ne dit pas cela, il serait trop long ici d\u2019entrer en mati\u00e8re, ce sera dans mon prochain livre. Et quand Dieu d\u00e9clare en cons\u00e9quence : ton d\u00e9sir se portera vers ton mari, mais lui dominera sur toi<\/em> (Gn 3, 16b) ce n\u2019est ni une recommandation ni une punition de Dieu, mais bien au contraire, ce n\u2019est que sa triste constatation d\u2019une am\u00e8re r\u00e9alit\u00e9. Ce n\u2019est donc pas une justification th\u00e9ologique de la domination masculine qui h\u00e9las s\u2019est perp\u00e9tu\u00e9e durant des si\u00e8cles.<\/p>\n\n\n\n

D\u00e8s le d\u00e9part, \u00ab elle \u00bb la femme, \u00e9tait toujours perdante : \u00e9coutons les traductions : on l\u2019appellera femme ishah car elle a \u00e9t\u00e9 prise<\/u> de l\u2019homme ish ! <\/em>Mais c\u2019est l\u2019homme qui parle ici (Gn 2, 23) et il voit la femme \u00e0 partir de lui-m\u00eame. Il se voit premier. Or le texte h\u00e9bra\u00efque mentionne juste auparavant (Gn 2, 21) que la femme a \u00e9t\u00e9 b\u00e2tie par Dieu d\u2019un c\u00f4t\u00e9 de l\u2019\u00eatre humain<\/u>  <\/em>(et non pas d\u2019une c\u00f4te de l\u2019homme). Car, dans les ch. 1 et 2 de Gn, lorsqu\u2019 il est parl\u00e9 d\u2019adam, il ne s\u2019agit pas de \u00ab Monsieur Adam \u00bb, mais d\u2019un nom commun qui d\u00e9signe l\u2019\u00eatre humain homme et femme<\/em>. Ainsi homme et femme sont deux c\u00f4t\u00e9s<\/em> de l\u2019\u00eatre humain ; ils ne sont pas pr\u00e9sent\u00e9s en ordre hi\u00e9rarchique, mais c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te<\/em> !<\/p>\n\n\n\n

En Gn 2,23, lorsque l\u2019homme, par sa premi\u00e8re d\u00e9claration, annexe pour ainsi dire la femme, celle-ci ne dit mot, et \u00ab qui ne dit mot consent \u00bb. Or ici dans le Ct, c\u2019est sa parole \u00e0 Elle qui ouvre le livre et qui le ferme : elle aura le dernier mot de l\u2019histoire, on va le voir. Et c\u2019est son d\u00e9sir \u00e0 Elle, qui tout au long des chapitres va faire rebondir l\u2019intrigue.<\/p>\n\n\n\n

Et adorable subversion : le fameux d\u00e9sir initial de la femme qui avait tout g\u00e2ch\u00e9 et qui a \u00e9t\u00e9 utilis\u00e9 pour justifier sa soumission face \u00e0 l\u2019homme, ici grand renversement dans l\u2019avant-dernier chapitre : c\u2019est son d\u00e9sir \u00e0 lui qui se porte vers elle<\/em> (7, 11). Ce d\u00e9sir passionn\u00e9<\/em> (mot qui n\u2019appara\u00eet que 3 fois dans l\u2019AT, dont en Gn 3) r\u00e9appara\u00eet ici pour dire qu\u2019il s\u2019effectue non plus dans le sens du f\u00e9minin vers le masculin, mais du masculin vers le f\u00e9minin<\/strong>. L\u2019attirance intense que le bien-aim\u00e9 \u00e9prouve envers elle, vient par cette toute petite phrase, op\u00e9rer un renversement qu\u2019on se garde en g\u00e9n\u00e9ral de faire remarquer. Silencieusement, l\u2019amour du Ct instaure une relation nouvelle qui annule toute confiscation du pouvoir de l\u2019un par l\u2019autre<\/strong>, une relation de couple bas\u00e9e sur une enti\u00e8re prise en compte des deux partenaires, sur leur \u00e9galit\u00e9 en dignit\u00e9, et sur un entier respect mutuel.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Et donc plus largement, ce livre d\u00e9licieusement subversif vient augurer la perspective de relations interpersonnelles fond\u00e9es non sur le genre, ni sur le statut social (roi\/berger) ou l\u2019appartenance religieuse ou ethnique, mais sur la dignit\u00e9 de la personne en tant que telle. Prise de conscience que corroborera le NT : \u00ab Il n\u2019y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni libre, ni homme ni femme, mais vous \u00eates tous un en J\u00e9sus-Christ \u00bb (Ga 3, 28).<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Respect et libert\u00e9<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Adorable subversion, le Ct montre un amour qui d\u00e9gage un espace o\u00f9 chacun des deux partenaires peut devenir pleinement lui-m\u00eame, car paradoxalement ce lien rend libre et r\u00e9v\u00e8le l\u2019autre \u00e0 lui-m\u00eame. Au ch. 2 quand l\u2019aim\u00e9 vient retrouver sa belle, en sautant et bondissant par-dessus les collines, <\/em>il n\u2019enfonce pas la porte, mais malgr\u00e9 toute son ardeur \u00e0 la retrouver, il s\u2019arr\u00eate et attend discr\u00e8tement derri\u00e8re le mur de la maison, il guette son aim\u00e9e et lui d\u00e9clare\u00a0:<\/p>\n\n\n\n

L\u00e8ve-toi, mon amie, ma belle,<\/em><\/p>

Va, de toi-m\u00eame, pour toi-m\u00eame et vers toi-m\u00eame\u00a0! (2, 10)\u00a0:<\/em><\/p><\/blockquote>\n\n\n\n

lekhi lakh !      <\/em>L\u2019h\u00e9breu du texte utilise au f\u00e9minin la m\u00eame expression que le lekh lekha <\/em>de l\u2019appel d\u2019Abram en Gn 12,1 : Va pour toi = pars de ton pays, de ta famille\u2026<\/em><\/p>\n\n\n\n

L\u2019aim\u00e9 lui signifie son attachement : mon<\/em> amie (mon<\/em> vis-\u00e0-vis), ma<\/em> belle, mais il ne s\u2019empare pas d\u2019elle, il ne la contraint pas \u00e0 le suivre. Son affection la renvoie \u00e0 la source de sa force en elle : L\u00e8ve-toi,<\/em> (Qo\u00fbmi ! <\/em>=ressuscite <\/em>!). N\u2019aie pas peur, ma colombe qui te caches au creux du rocher <\/em>(2, 14a) ;<\/em> oui, sors et prends ton envol vers moi, mais c\u2019est toi qui le d\u00e9cideras ! Il ne l\u2019appelle \u00e0 venir vers lui, mais \u00e0 aller vers elle-m\u00eame, vers sa vraie personne, qui va se r\u00e9v\u00e9ler au travers de l\u2019amour inconditionnel qu\u2019il lui t\u00e9moigne (<\/em>livre p.80) :<\/em> Fais-moi voir tes visages !<\/em>(2, 14b) =Fais-moi d\u00e9couvrir toutes les facettes de ta personnalit\u00e9 !  Ta voix est douce et ton visage ravissant <\/em>(2, 14c) :il lui r\u00e9v\u00e8le sa beaut\u00e9 unique, celle que lui voit en elle.<\/p>\n\n\n\n

Mais il attend qu\u2019elle soit pr\u00eate : N\u2019\u00e9veillez pas, ne r\u00e9veillez pas l\u2019amour avant qu\u2019elle le veuille ! Avant son bon plaisir \u00e0 elle ! <\/em>(2, 7 ; 3, 5 ; 5, 8 ; 8, 4). Et non pas comme dans la LXX que suivent certaines traductions, et qui se r\u00e9v\u00e8le machiste par moments : avant qu\u2019il le veuille !) <\/em>Ce refrain revient souvent dans le Ct et montre qu\u2019il ne fait preuve d\u2019aucune mainmise ou emprise sur elle ! M\u00eame lorsqu\u2019il arrive impromptu \u00e0 sa porte, tout ruisselant de la pluie de la nuit, il la supplie : Ouvre-moi, mon aim\u00e9e, ma colombe, ma parfaite ! <\/em>(5, 2) Et alors qu\u2019elle tarde \u00e0 r\u00e9pondre, il se retire discr\u00e8tement. Lorsqu\u2019elle ouvre, il a disparu. Elle bondit alors \u00e0 sa recherche en courant et criant dans les rues de la ville\u2026 C\u2019est alors qu\u2019elle prend pleinement conscience de l\u2019intensit\u00e9 de sa passion pour lui. (Cf. 3, 2c : je l\u2019ai cherch\u00e9 et ne l\u2019ai pas trouv\u00e9<\/em> et 5, 6c : je l\u2019ai cherch\u00e9, lui,<\/u> et ne l\u2019ai pas trouv\u00e9, lui<\/u><\/em>, \u2026 Mon \u00eatre, mon \u00e2me est sortie (pour aller \u00e0 sa suite, avec lui) tandis qu\u2019il me parlait<\/em> (5, 6b).<\/p>\n\n\n\n

Paradoxalement, c\u2019est quand il n\u2019est plus l\u00e0, qu\u2019elle le trouve. En fait les deux amants se retrouveront et s\u2019aimeront pleinement\u2026 et l\u2019on s\u2019attendrait \u00e0 un happy end du style\u00a0: ils v\u00e9curent heureux\u2026 Pourtant, \u00e0 la fin du Po\u00e8me la derni\u00e8re parole qu\u2019elle lui adresse est celle-ci\u00a0: Fuis mon amour\u00a0! <\/em>\u00a0(8, 14a) \u00c9tonnante parole pour celle qui au tout d\u00e9but s\u2019\u00e9criait\u00a0: Qu\u2019il m\u2019embrasse \u00e9perdument\u00a0! <\/em>Qu\u2019est-ce que ce renversement, cette fin \u00e9nigmatique d\u2019une histoire d\u2019amour ? En fait, elle ne se s\u00e9pare pas de lui, puisqu\u2019elle lui d\u00e9clare qu\u2019il est toujours son<\/em> aim\u00e9. Mais elle ajoute\u00a0: Sois semblable \u00e0 toi-m\u00eame (et pour toi-m\u00eame), (sois) pareil \u00e0 la gazelle<\/strong> ou au jeune faon <\/strong>sur les montagnes embaum\u00e9es\u00a0!<\/em>(8, 14b)<\/p>\n\n\n\n

Elle le renvoie \u00e0 lui-m\u00eame : deviens toi-m\u00eame, pareil \u00e0 ces jeunes animaux en libert\u00e9, tendres et bondissants\u2026 Cette allusion discr\u00e8te au nom divin que l\u2019on entend quatre fois dans le Ct (2, 7 ; 3, 5 ; 5, 8 ; 8, 4) dans l\u2019adjuration : par les gazelles <\/strong>et par les biches<\/strong> sauvages \u2026<\/em>signifie qu\u2019elle lui dit : \u00ab Deviens qui tu es profond\u00e9ment, selon cette image divine inscrite au fond de toi<\/strong>. Garde la l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 de ton \u00eatre, l\u2019aspiration de ce souffle infini qui t\u2019anime ! N\u2019enfouis pas la pleine capacit\u00e9 de ton potentiel, ne t\u2019enferme ni dans un r\u00f4le ni dans un id\u00e9al ! \u00bb Ainsi \u00e0 son tour, elle le r\u00e9v\u00e8le \u00e0 lui-m\u00eame.<\/p>\n\n\n\n

Adorable subversion ! Le Ct nous livre un ultime secret, l\u2019amour vrai n\u2019est aucunement captateur. Il \u00e9toufferait dans les enclos de bonnes intentions et de sages pr\u00e9cautions qu\u2019on tenterait de lui offrir pour le pr\u00e9server.<\/p>\n\n\n\n

Elle lui prouve son attachement en lui offrant la libert\u00e9 de devenir lui-m\u00eame. Dans cette derni\u00e8re sc\u00e8ne, on imagine notre h\u00e9ro\u00efne les mains ouvertes en geste d\u2019oblation, comme pour offrir celui qui lui est le plus cher et le renvoyer vers ces montagnes \u00e9ternellement embaum\u00e9es, comme vers un temple o\u00f9 les parfums montent en offrande.<\/p>\n\n\n\n

Mais elle a aussi les mains ouvertes pour le recevoir \u00e0 nouveau ; peut-\u00eatre n\u2019a-t-elle jamais \u00e9t\u00e9 aussi proche de lui ainsi que l\u2019\u00e9voque le psychanalyste Massimo Recalcati dans son livre \u00ab Retiens le baiser \u00bb :\u00ab L\u2019amour qui dure ne se fonde pas sur la fusion des deux, mais sur l\u2019\u00e9loignement\u2026 la solitude des deux\u2026, ou selon la formule de Nietzsche, non sur une marmelade empathique, une intimit\u00e9 sans d\u00e9sir, mais une amiti\u00e9 stellaire, une intimit\u00e9 des lointains \u00bb. Pour Proust, l\u2019aim\u00e9 est toujours un \u00ab \u00eatre en fuite \u00bb ; on le souhaite fid\u00e8le, mais par choix et non par obligation. Recalcati conclut : \u00ab Le myst\u00e8re du corps de l\u2019autre n\u2019est jamais r\u00e9solu, l\u2019intimit\u00e9 ne se laisse pas d\u00e9rober par la familiarit\u00e9, la fid\u00e9lit\u00e9 n\u2019est pas le fruit du sacrifice, mais une ivresse, un vertige, la persistance d\u2019une force et d\u2019une \u00e9nigme \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Incarnation, nature et cr\u00e9atures<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

J\u2019esp\u00e8re que ces quelques aper\u00e7us sur Ct vous donneront l\u2019envie de le lire. Un autre des aspects de sa modernit\u00e9 – ou de son caract\u00e8re proph\u00e9tique \u2013 est de mettre en \u00e9vidence le r\u00f4le des sens, montrant que le charnel a une dimension spirituelle et que le spirituel est toujours incarn\u00e9. \u00ab Les deux sont ins\u00e9parables \u00bb, fait remarquer Dietrich Bonhoeffer. C\u2019est le livre biblique o\u00f9 l\u2019on parle le plus du go\u00fbt (vin, fruits, \u00e9lixir) et des parfums (essences souvent mentionn\u00e9es dans leur diversit\u00e9, m\u00eame s\u2019il l\u2019on ne poss\u00e9dait pas \u00e0 l\u2019\u00e9poque les pr\u00e9cisions botaniques n\u00e9cessaires), il fait la part belle au corps, \u00e0 l\u2019esth\u00e9tique, mais sans artifices ni affectation, je dirais : naturellement. Le sensoriel et le sensuel participent pleinement \u00e0 l\u2019\u00e9veil spirituel et ouvrent sur le myst\u00e8re de l\u2019autre, sans ou avec Majuscule. \u00ab Je me demande, dit le th\u00e9ologien Andr\u00e9as Losch, si le d\u00e9fi pour nous, chr\u00e9tiens d\u2019aujourd\u2019hui, n\u2019est pas de red\u00e9couvrir la corpor\u00e9it\u00e9 passionn\u00e9e<\/strong> du Ct des ct \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

D\u2019ailleurs dans le NT, la venue du royaume est bien inaugur\u00e9e par le vin des noces de Cana et par l\u2019ivresse de l\u2019Esprit le jour de la Pentec\u00f4te ! Sans parler de la perspective eschatologique : le Royaume qui vient se laisse entrevoir au travers d\u2019un banquet, d\u2019un festin !<\/p>\n\n\n\n

Il faut mentionner aussi la po\u00e9sie, les images, la musique du texte h\u00e9bra\u00efque (v.1-3 lus en h\u00e9breu<\/em>) qui r\u00e9sonne comme une invitation \u00e0 la danse ou \u00e0 la farandole. Tout invite \u00e0 l\u2019\u00e9merveillement, \u00e0 la contemplation et \u00e0 l\u2019ivresse du myst\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n

La nature et ses cr\u00e9atures ne font pas simplement partie du d\u00e9cor : ils participent \u00e0 l\u2019idylle des amoureux, ils leur procurent un lieu s\u00e9curis\u00e9 o\u00f9 exprimer leur flamme, la cr\u00e9ation devient l\u2019 espace sacr\u00e9 qui remplace le Temple<\/strong>. Notre lit, c\u2019est la verdure pleine de fra\u00eecheur ! <\/em>(1, 16b) : ce qui soutient leur relation, c\u2019est le lien avec la cr\u00e9ation, le vivant dans sa concr\u00e9tude. Leur amour influence positivement le cr\u00e9\u00e9 qui se met \u00e0 fleurir sous leur pas. La nature le per\u00e7oit, elle r\u00e9pond \u00e0 l\u2019amour par l\u2019amour !<\/p>\n\n\n\n

Les animaux sauvages sont plus que de simples cr\u00e9atures : dans leur vivacit\u00e9 et leur l\u00e9g\u00e8ret\u00e9, leur promptitude \u00e0 appara\u00eetre ou dispara\u00eetre sans que l\u2019on sache pourquoi, ils deviennent signes et symboles pl\u00e9niers de la pr\u00e9sence divine ! Comme dit pr\u00e9c\u00e9demment, les gazelles et biches sauvages <\/em>(de genre f\u00e9minin) \u2018ayelot outseva\u2019oth <\/em>\u00e9voquent en h\u00e9breu le nom d\u2019\u2018Elohei tseva\u2019oth : <\/em>le Dieu de l\u2019univers.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Adorable subversion divine<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Adorable subversion finalement que ce Ct o\u00f9 Dieu choisit le langage amoureux d\u2019un couple humain pour nous d\u00e9clarer son amour ! Alors que cet \u00e9crit ne fait pas clairement mention du nom de Dieu, il en est rempli par la c\u00e9l\u00e9bration de l\u2019amour. Car c\u2019est bien le sens all\u00e9gorique de ce livre qui avait \u00e9t\u00e9 per\u00e7u d\u00e8s l\u2019origine : au travers d\u2019un couple qui s\u2019est dit oui, Dieu fait part de son r\u00eave, de son d\u00e9sir d\u2019alliance avec son peuple, union du Christ avec son \u00c9glise, et de la Divinit\u00e9 avec toute l\u2019humanit\u00e9. Sans aucune vis\u00e9e pol\u00e9mique ou didactique \u00e0 la base, le Ct recentre la r\u00e9v\u00e9lation biblique sur la primaut\u00e9 de ce lien d\u2019ind\u00e9fectible tendresse. Il s\u2019agit non pas de commandements \u00e0 accomplir ou de valeurs \u00e0 d\u00e9fendre ni m\u00eame de morale \u00e0 pr\u00e9server, mais de s\u2019ouvrir d\u2019abord \u00e0 un amour divin incompr\u00e9hensible, de r\u00e9aliser que chacune, chacun de nous peut se glisser dans le personnage f\u00e9minin du Ct et devenir la bien-aim\u00e9e, la pr\u00e9f\u00e9r\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019image divine<\/u><\/strong> qui transpara\u00eet au travers du personnage du bien-aim\u00e9 est celle d\u2019un Dieu qui se fait humble, d\u00e9sire ardemment notre amour et fait de nous le sommet de sa joie !\u2026 Tout en respectant enti\u00e8rement notre libert\u00e9. Il nous attend sans jamais nous contraindre\u2026 (voil\u00e0 qui contraste avec certaines paroles des livres proph\u00e9tiques avec leurs reproches r\u00e9it\u00e9r\u00e9s d\u2019infid\u00e9lit\u00e9\u2026) Le Ct refl\u00e8te le D\u00e9sir divin exprim\u00e9 dans ces \u00e9crits : Je deviendrai leur Dieu,  et ils deviendront mon peuple <\/em>(Jr 7, 23 ; 31, 33 ; Os 2, 25), <\/em>qui se r\u00e9alise dans l\u2019Alliance du Ct:   Mon bien-aim\u00e9 est \u00e0 moi, et moi, je suis \u00e0 lui<\/em> (2, 16 ; 6, 3 ; 7, 11 : n.b.<\/em> l\u2019\u00e9volution des termes en ces trois occurences).<\/em><\/p>\n\n\n\n

Un amour qui nous grandit<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

A travers des descriptions \u00e9merveill\u00e9es des amoureux l\u2019un de l\u2019autre, transpara\u00eet un regard divin si positif \u00e0 notre \u00e9gard ! Unique est ma colombe, ma parfaite ! <\/em>(6, 9a) Tu es toute belle, en toi pas de d\u00e9fauts ! <\/em>(4, 7)<\/p>\n\n\n\n

Mon bien-aim\u00e9, que tu as de charme et de douceur\u00a0!<\/em> (1, 16a)<\/p><\/blockquote>\n\n\n\n

Reflets d\u2019un accueil inconditionnel : quelqu\u2019un ose croire en nous, voil\u00e0 qui nous grandit. Et l\u2019on se sent devenir meilleur, on a envie d\u2019aimer en retour !  Voil\u00e0 qui est \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 d\u2019un certain discours religieux moralisateur qu\u2019une de mes amies d\u00e9finit comme \u00ab le religieusement correct, qui nous a format\u00e9s \u00e0 nous sentir coupables, p\u00e9cheurs, indignes, bref, mauvais ! \u00bb, ou encore la critique acerbe et destructrice de notre \u00e9ducation, de notre soci\u00e9t\u00e9, autour de nous, et last but not least<\/em> : en nous-m\u00eame, notre auto-d\u00e9valorisation, avec la peur qui la sous-tend ! Il faut au contraire, comme dit St Silouane, \u00ab tout consid\u00e9rer au travers du prisme de l\u2019Amour : combien Dieu aime l\u2019\u00eatre humain et combien il le magnifie \u00bb. Ce ne sont pas nos efforts et nos bonnes r\u00e9solutions qui nous transforment, mais c\u2019est cet amour-l\u00e0 re\u00e7u et donn\u00e9 qui nous conf\u00e8re la capacit\u00e9 de grandir au travers de tous les al\u00e9as de notre existence ; cet amour-l\u00e0 poss\u00e8de une puissance transformante, il transmet cette \u00e9nergie incroyable dont fait preuve la femme du Ct, la Shoulamith : <\/em>celle qui est parvenue \u00e0 l\u2019accomplissement en se laissant remplir de paix, combler de pl\u00e9nitude.<\/p>\n\n\n\n

En conclusion, puisque comme le dit le c\u00e9l\u00e8bre ex\u00e9g\u00e8te Paul Beauchamp : \u00ab L\u2019amour est un jaillissement et une libert\u00e9 qui le font pr\u00e9cis\u00e9ment \u00e9chapper \u00e0 la loi \u00bb, se pose alors la question : qu\u2019est-ce qui v\u00e9rifie la qualit\u00e9 de cette relation qui va bien au-del\u00e0 de la simple aventure romantique ?<\/p>\n\n\n\n

L\u2019aune qui v\u00e9rifie la qualit\u00e9 de cet amour-l\u00e0<\/em> est qu\u2019il est pur, exigeant, d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9, il cherche le bien de l\u2019autre. Il ne s\u2019impose pas, il se donne et il triomphe car, dit la bien-aim\u00e9e :<\/p>\n\n\n\n

Il est fort, aussi fort que la mort, sa passion s\u2019av\u00e8re inflexible\u00a0;<\/em><\/p>

ses fl\u00e8ches sont des fl\u00e8ches de feu, une flamme de Yah\u00a0! Une flamme divine\u00a0!<\/em> (8, 6)<\/p><\/blockquote>\n\n\n\n

Adorable subversion que celle-l\u00e0, au sens litt\u00e9ral cette fois !<\/p>\n\n\n\n


\n\n\n\n

[1]<\/a> Th\u00e9r\u00e8se Glardon, Cet amour qui nous grandit, Dialogues avec le Bien-Aim\u00e9 dans le Cantique des cantiques, <\/em>Labor et Fides, 2020.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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Il remonterait \u00e0 l\u2019\u00e9poque hell\u00e9nistique (3\u00e8me … Continuer la lecture de « Le Cantique des Cantiques, adorable subversion ! »<\/span><\/a><\/p>\n","protected":false},"author":20,"featured_media":3822,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[2204],"tags":[],"class_list":["post-3940","post","type-post","status-publish","format-standard","has-post-thumbnail","hentry","category-cultes"],"yoast_head":"\nLe Cantique des Cantiques, adorable subversion ! • Paroisse r\u00e9form\u00e9e de La BARC %<\/title>\n<meta name=\"description\" content=\"Conf\u00e9rence de Th\u00e9r\u00e8se Glardon donn\u00e9e \u00e0 B\u00f4le, paroisse de la BARC, le 28.09.2022. 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