{"id":1302,"date":"2020-04-29T08:00:28","date_gmt":"2020-04-29T06:00:28","guid":{"rendered":"https:\/\/www.eren.ch\/barc\/?p=1302"},"modified":"2020-04-29T08:11:42","modified_gmt":"2020-04-29T06:11:42","slug":"un-monde-nouveau","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/www.eren.ch\/barc\/2020\/04\/29\/un-monde-nouveau\/","title":{"rendered":"Un monde nouveau"},"content":{"rendered":"

Elim: Claude Fiaux, Pierre Reverchon, Hans Beck, B\u00e9n\u00e9dicte Gritti<\/em><\/p>\n

\u00ab\u00a0Il n\u2019y avait rien. Et ce rien \u00e9tait le tout. Le tout et le rien se m\u00ealaient l\u2019un \u00e0 l\u2019autre et se confondaient l\u2019un avec l\u2019autre.<\/p>\n

Il n\u2019y avait pas d\u2019\u00e9toiles. Il n\u2019y avait pas de nuages. Il n\u2019y avait ni arbres, ni ruisseaux, ni coccinelles, ni guerriers. Il n\u2019y avait pas de paroles. Ni de r\u00eaves. Il n\u2019y avait pas de formes, il n\u2019y avait pas de couleurs et il n\u2019y avait pas de musique. Il n\u2019y avait m\u00eame pas de sph\u00e8res. Ni de pass\u00e9. Ni d\u2019avenir. Et il n\u2019y avait pas de nombres. Il n\u2019y avait rien.<\/p>\n

Pour donner une id\u00e9e de ce rien qui \u00e9tait le tout, il faudrait une nuit obscure. Un silence complet. Un vide absolu. Quelque chose comme une page blanche o\u00f9 la page et le blanc et, bien s\u00fbr, l\u2019\u0153il pour les voir seraient encore de trop.<\/p>\n

Une nuit, un silence, un vide \u2013 ne parlons m\u00eame pas de la page blanche \u2013 ne peuvent donner qu\u2019une id\u00e9e tr\u00e8s imparfaite du n\u00e9ant avant l\u2019univers et avant le mur de Planck. Supprimez les \u00eatres vivants, les choses, le Soleil et la Lune, les \u00e9toiles, jusqu\u2019aux couleurs et aux sons, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019air qu\u2019on respire, jusqu\u2019aux ondes et aux atomes, faites le vide et le noir sans la moindre lueur et sans le moindre bruit \u2013 il restera toujours quelque chose\u00a0: il restera l\u2019espace et ce fant\u00f4me sans chair et sans os, sans la moindre pr\u00e9sence et pourtant implacable, que nous appelons le temps.<\/p>\n

Avant le monde et son train, il n\u2019y avait pas d\u2019espace et il n\u2019y avait pas de temps. Il y avait bien quelque chose\u00a0: c\u2019\u00e9tait l\u2019\u00e9ternit\u00e9. L\u2019\u00e9ternit\u00e9 se confondait avec le tout et avec le rien.\u00a0\u00bb<\/p><\/blockquote>\n

Jean d\u2019Ormesson, Comme un chant d\u2019esp\u00e9rance<\/a><\/p>\n

Tout et rien<\/h5>\n

Voil\u00e0 maintenant un mois et demi que nous vivons confin\u00e9s. A osciller entre le tout et le rien.<\/p>\n

Le tout parce que nous conservons le souvenir de ce que notre vie est en temps ordinaire\u00a0: rencontres, agitations, travail, activit\u00e9s en tout genre. Une vie bien remplie qui laisse parfois peu de temps \u00e0 la r\u00e9flexion, \u00e0 l\u2019introspection, au silence, \u00e0 la solitude.<\/p>\n

Et le rien, parce que le pr\u00e9sent nous laisse confront\u00e9s au vide li\u00e9 \u00e0 l\u2019arr\u00eat brutal de tout ce qui remplissait nos vies. Et parfois parce que le vide impos\u00e9 nous laisse entrevoir le vide int\u00e9rieur, bouleversant, d\u00e9stabilisant.
\nLe rien de ce que nos vies tr\u00e9pidantes nous avaient laiss\u00e9 croire \u00eatre le tout. Avoir, poss\u00e9der, faire voir, \u00eatre vu, para\u00eetre, vouloir, engranger, toutes ces choses qui dans un temps de vide social et \u00e9conomique deviennent des futilit\u00e9s.<\/p>\n

Alors quoi?<\/h5>\n

Que reste-t-il alors\u00a0? M\u00eame le temps qui a pris une toute autre dimension semble nous mettre \u00e0 rude \u00e9preuve. Lorsqu\u2019il nous est donn\u00e9 un peu \u00e0 la mani\u00e8re de l\u2019\u00e9ternit\u00e9, nous ne savons pas comment l\u2019appr\u00e9hender, tant il est distendu. En poss\u00e9der trop devient angoissant, voire culpabilisant. Nous ne savons pas comment l\u2019occuper, comment le rendre productif. C\u2019est la fameuse page blanche.<\/p>\n

Il nous faut alors nous repositionner. Tenter de percevoir ce qui, dans ce temps diff\u00e9rent, devient essentiel. Pour certains, il va s\u2019agir des rapports que l\u2019on entretient avec soi-m\u00eame et avec les autres. Pour d\u2019autres, ce seront les rapports que l\u2019on entretient avec le Tout Autre. Et pour d\u2019autres encore, ce seront les rapports que l\u2019on entretient avec la nature, l\u2019environnement, la cr\u00e9ation dans son entier.<\/p>\n

Prendre soin<\/h5>\n

Appara\u00eet alors avec force une notion que nous portons tous en nous mais que nous mettons trop souvent en sourdine au profit des bruits de la rentabilit\u00e9 et du \u00ab\u00a0toujours plus\u00a0\u00bb : la notion du \u00ab\u00a0prendre soin\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Il devient \u00e9vident dans cette situation in\u00e9dite pour nous, hommes du monde moderne, qu\u2019il nous faut repenser notre mani\u00e8re de prendre soin du monde qui nous entoure.<\/p>\n

Durant ce temps de pand\u00e9mie, le milieu m\u00e9dical est dans les premi\u00e8res lignes au front, mais tous nous sommes appel\u00e9s \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 cette notion du prendre soin.<\/p>\n

Beaucoup r\u00e9fl\u00e9chissent et pensent que le monde doit ou a pris une autre direction dans ce temps d\u2019\u00e9preuve. Beaucoup esp\u00e8rent que nous serons assez conscients, intelligents et que nous saurons laisser nos cupidit\u00e9s pour entamer les changements n\u00e9cessaires maintenant qu\u2019il nous est devenu \u00e9vident que l\u2019essentiel est ailleurs ou autre.<\/p>\n

\u00ab\u00a0 Le monde avant la pens\u00e9e est d\u00e9j\u00e0 quelque chose \u2013 mais vraiment pas grand-chose. Le monde ne devient ce qu\u2019il est \u2013 c\u2019est-\u00e0-dire tout pour nous \u2013 qu\u2019avec l\u2019arriv\u00e9e de l\u2019homme. Jusqu\u2019\u00e0 faire oublier Dieu par sa cr\u00e9ature, son instrument et son h\u00e9ritier. Dieu a fait sortir le monde du n\u00e9ant pour que l\u2019homme puisse le cr\u00e9er.<\/p>\n

A la fameuse question de Leibniz\u00a0[\u2026] : \u00ab\u00a0Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien\u00a0?\u00a0\u00bb, il y a une seule r\u00e9ponse possible\u00a0: \u00ab\u00a0 Parce que Dieu a distingu\u00e9 le tout du rien.\u00a0\u00bb Mais, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de cette r\u00e9ponse, il y a une autre r\u00e9ponse, incluse, subalterne et annexe\u00a0: \u00ab\u00a0 Parce que Dieu a confi\u00e9 \u00e0 l\u2019homme le tout tir\u00e9 du rien pour qu\u2019il en fasse un monde o\u00f9, gr\u00e2ce \u00e0 l\u2019espace et au temps, \u00e0 la n\u00e9cessit\u00e9 et au hasard, l\u2019absence se change en pr\u00e9sence et le myst\u00e8re en raison.\u00a0\u00bb Avec ses sens et sa pens\u00e9e, l\u2019homme cr\u00e9e une seconde fois le monde tir\u00e9 par Dieu du n\u00e9ant infini et de l\u2019\u00e9ternit\u00e9 du rien.\u00a0\u00bb<\/p><\/blockquote>\n

Jean d\u2019Ormesson, Comme un chant d\u2019esp\u00e9rance<\/a><\/p>\n

Un monde nouveau<\/h5>\n

Si l\u2019on consid\u00e8re cette \u00e9preuve comme une chance de cr\u00e9er une troisi\u00e8me fois ce monde tir\u00e9 du n\u00e9ant, esp\u00e9rons que nous, instruments et h\u00e9ritiers du Tr\u00e8s-Haut, saurons \u00eatre les hommes de la situation et cr\u00e9er un monde nouveau.<\/p>\n