Prédication du culte du dimanche 8 décembre 2024, 2e dimanche de l’Avent, avec le baptême de Zoé, 15 ans.
Lectures bibliques: Proverbes 3,5-7 et Matthieu 14,22-33
Introduction aux lectures
Jésus nous paraît parfois si lointain. Si fabuleux dans ses enseignements, si adéquat dans ses comportements, si sage face à ses adversaires. Il est parfait. Si parfait qu’il en devient inaccessible. Et puis il y a des passages dans les évangiles qui nous font percevoir un autre Jésus. Tellement plus humain. Habité de sentiments auxquels nous parvenons à nous identifier et soudain Jésus nous semble plus accessible, plus proche de ce que nous vivons et ressentons nous aussi. C’est le cas du chapitre 14 de l’évangile de Matthieu dont nous lirons un passage.
Pour le situer brièvement. Jésus vient d’apprendre la mort de son ami Jean-Baptiste, celui-là même qui l’avait baptisé. Il a besoin de se retrouver un peu seul. Pour prier, pour laisser place à son chagrin, à sa peur peut-être aussi car ceux qui ont mis son ami à mort le cherchent peut-être pour lui faire subir le même sort. Il se retire dans un endroit désert… qui ne le reste pas longtemps. Les gens apprennent qu’il est là et viennent à sa rencontre. Ils veulent le voir, écouter son enseignement, le rencontrer, le toucher. Alors Jésus accède à la demande de cette foule. Il enseigne, il guérit, il proclame, il annonce le Royaume, et il finit même par nourrir toutes ces personnes venues à lui. C’est à la fin de cette journée là qu’ont lieu les événements que nous découvrons dans le texte du jour.
Le saut de la confiance
Il y a pas très loin d’ici, près du manège de Colombier, une école de cirque dans laquelle amateurs et professionnels pratiquent le trapèze volant.Vous avez peut-être déjà eu l’occasion de les admirer dans leur art. Le trapèze est une discipline qui demande, outre les dispositions et compétences athlétiques nécessaires, une bonne dose de courage et de confiance.
Confiance en les infrastructures bien sûr, pour des raisons évidentes de sécurité, de la confiance en soi aussi, et de la confiance en l’autre lorsqu’il s’agit de faire des figures avec un ou une partenaire. Lorsqu’ils se produisent à plusieurs, il y a ce bref instant où l’un lâche son trapèze et reste, comme suspendu en l’air, avant d’attraper les mains de son partenaire. C’est de cet instant précis que je vous propose de nous intéresser ce matin, en imaginant ce que l’on peut ressentir.
C’est le saut. Le saut de la confiance. Confiance en son partenaire parce qu’il convient de croire qu’il sera parti au bon moment du balancier pour se trouver exactement au bon endroit au bon instant. Confiance aussi en soi car si la peur retient le geste du trapéziste, il lâche la barre avec retard et ne se retrouvera pas coordonné avec celui qui lui tend les mains. Le tout doit se dérouler au bon moment.
L’apôtre Pierre aurait-il été un bon trapéziste ? Je n’en suis pas certaine. Ce récit de l’évangile de Matthieu nous donne à réfléchir à cet instant suspendu. Au saut de la confiance.
Des disciples malmenés
Mais revenons au début de l’histoire. Au terme d’une longue et intense journée, Jésus aspire à un peu de calme. Il enjoint donc ses disciples de prendre une barque pour rentrer, alors que lui reverrait la foule et se retirerait un moment pour prier. On comprend donc qu’il n’est pas prévu que les disciples passent la nuit sur l’eau. Il les a sans doute envoyés suffisamment tôt pour qu’ils puissent traverser le lac avant la tombée de la nuit.
Ce lac, le lac de Tibériade (ou mer de Tibériade dans certaines traductions) est il est vrai réputé pour les violentes tempêtes qui le secouent parfois en raison des masses d’air remuées dans la région. Mais ce n’est pas un très grand lac. Dans sa partie la plus large, il ne fait pas deux fois la distance entre Neuchâtel et Cudrefin. Il devait donc être prévu que les disciples arrivent de l’autre côté avant la fin du jour.
La nuit qu’on vécue les disciples a dû être terrible. Des heures durant, ballottés dans leur petite embarcation, dans une nuit noire comme de l’encre. Avec leur barque, c’est aussi leur confiance qui est malmenée. Comment leur maître qui s’est rendu si disponible pour toute cette foule durant toute la journée peut-il les abandonner ainsi ? Comment celui qui accomplit tant de miracles peut-il les laisser affronter seuls une telle tempête ?
Avec la tempête de cette nuit-là, ce sont les plus grands tourments de la vie qui s’abattent sur la coque de leur embarcation. Peur, doute, sentiment d’abandon, fragilité humaine, proximité de la mort, fatigue extrême. On sait ce que c’est. Il nous arrive à nous aussi que quelques unes de ces vagues viennent s’abattre sur nos existences. Peur, doute, sentiment d’abandon, fragilité humaine, proximité de la mort, fatigue extrême.
Il foule au pied ce qui nous terrorise
Et puis Jésus vient à eux. Alors qu’ils ne voyaient plus d’issue et que leurs propres compétences ne suffisaient plus à naviguer, c’est lui qui vient à eux. Il marche sur l’eau. Sur cette masse rendue noire par la nuit, menaçante et anxiogène. Jésus marche dessus.
Il marche sur ce qui fait peur. Il foule au pied ce qui est menaçant. Il écrase les forces mortifères. Et ça fait peur. Oui ça fait peur. Parce que c’est tellement puissant que cela en devient incroyable. Au sens premier du terme : impossible à croire. Les disciples ont peur parce qu’ils n’en croient pas leurs yeux. Peut-être aussi parce que quelque part ils croient qu’ils sont perdus.
N’ayez pas peur! Voilà ce que leur dit Jésus. Ne vous laissez pas gagner par la peur. Face à cette parole d’apaisement, on ne connaît la réaction que d’un seul disciple : Pierre. Peut-être confond-il l’humilité de la foi confiante avec la témérité d’une foi triomphante. Peut-être cherche-t-il à prouver à Jésus combien il est un bon croyant. Peut-être est-il submergé d’une foi enthousiaste et déraisonnée. On ne sait pas. Mais ce que l’on sait, c’est que lui aussi veut piétiner les eaux menaçantes.
Mais cela ne dure pas. Tel un trapéziste qui s’est lancé en toute hâte dans un fougueux balancier, il lâche la barre, reste en l’air… mais ce qui le rattrape, c’est la peur!
Le saut de la foi, le saut de la confiance, ce n’est pas se jeter corps et âme n’importe comment. Ce n’est pas répondre aux lumières clinquantes d’un enthousiasme sans fondement, assurance de couler et de se laisser submerger dès que la peur se profilera. Faire le saut de la foi, c’est laisser grandir en soi la conviction profonde que le Christ vient à moi, qu’il marche sur ce qui me fait peur pour me rejoindre là où je suis, même embarquée dans des situations troubles.
Élan pour les trapézistes que nous sommes
Zoé, tu as fait le saut de la foi. Le baptême que tu recevras tout à l’heure en marquera la beauté. Tu es suspendue dans cet instant hors du temps d’une trapéziste qui a appris les gestes et les mouvements nécessaires pour faire ta part, et qui ose aujourd’hui lâcher la barre pour te laisse soutenir par les mains de Dieu. On ne peut, avec toi, que nous en réjouir.
Et tu as choisi ce texte des Proverbes pour accompagner ton mouvement:
Ne t’appuie pas sur ton intelligence,
mais de tout ton cœur, mets ta confiance dans le Seigneur
Reconnais-le dans tout ce que tu fais,
et lui, il guideras tes pas.
Ne pense pas que tu es un sage,
mais respecte le Seigneur et éloigne-toi du mal.
Cela guérira ton corps et te donnera des forces.
Dans notre culture, le cœur est le siège des émotions. Mais dans le monde hébreu, dont ce texte est issu, le cœur est l’organe de la réflexion et de la décision. Lorsqu’il est écrit : de tout ton cœur, mets ta confiance dans le Seigneur, il n’est pas question de sentiment, mais d’un choix.
Oser ne pas compter que sur soi-même, sur sa propre intelligence, sur ses propres capacités, mais faire le choix de faire confiance en un Dieu qui agit pour notre bien, c’est une marque de grande sagesse. Lâcher prise sur la maîtrise totale de soi, de son corps, de l’illusion que tout est entre nos mains et reconnaître que le sens de notre vie nous est donné de l’extérieur de nous-mêmes. C’est courageux parce que ce n’est pas très tendance, dans un monde qui met beaucoup en avant l’accomplissement de soi.
C’est le choix d’oser la foi. Une décision qui est très forte et qui engage. Qui engage à une cohérence éthique : respecter Dieu c’est agir en faveur de sa création, c’est aimer son prochain, c’est s’éloigner du mal.
Alors en faisant ce choix, Zoé, tu nous donnes à chacune et à chacun d’entre nous une sacrée leçon et je t’en remercie. Quelque part, nous sommes toutes et tous avec toi des trapézistes. Comme tout sportif, il nous faut nous exercer, pratiquer les gestes qui risquent de s’émousser si nous croyons que tout est acquis. Entraîner notre capacité à aimer notre prochain, étirer les muscles de l’entraide, pratiquer la prière et la lecture de la Bible, chercher à toujours mieux habiter nos mouvements et nos convictions. Et faire confiance. Refaire chaque jour le saut de la foi.
Dans la confiance que le Christ vient à nous en foulant au pied ce qui nous terrorise. Que ses mains sont là pour saisir les nôtres dans un mouvement plein de grâce.
Amen