Réfugié, mon frère…

Lévitique 19, 33 – 34

Quand un émigré viendra s’installer chez toi, dans votre pays, vous ne l’exploiterez pas; cet émigré installé chez vous, vous le traiterez comme un indigène, comme l’un de vous; tu l’aimeras comme toi-même, car vous-mêmes avez été émigrés dans le pays d’Égypte. C’est moi, le Seigneur, votre Dieu.

Évangile selon Matthieu 25, 31 – 45

Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, accompagné de tous les anges, alors il siégera sur son trône de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les nations et il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres. Il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche. Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père; recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; j’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi. Alors les justes lui répondront: Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé, et de te donner à boire ? Quand nous est-il arrivé de te voir étranger et de te recueillir, nu, et de te vêtir? Quand nous est-il arrivé de te voir malade ou en prison, et de venir à toi? Et le roi leur répondra : En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait! Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : Allez-vous en loin de moi, maudits; au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais étranger, et vous ne m’avez pas recueilli; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. Alors eux aussi répondront: Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé, étranger, ou nu, ou malade ou en prison, sans venir t’assister ? Alors il leur répondra: En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait.

 

Ces vingt dernières années, au moins 35’000 hommes, femmes et enfants sont morts, quasiment devant nos portes, dans le bassin méditerranéen. Ce berceau de notre civilisation synonyme de vacances au soleil est devenu une grande tombe qui abrite désormais ceux qui avaient pris leur courage à deux mains en quittant leur pays natal sous l’urgence des circonstances qui les ont fait fuir – dans l’espoir d’une vie meilleure plus au nord…

« Tu n’exploiteras pas l’émigré mais tu le traiteras comme un indigène, tu l’aimeras comme toi-même car vous avez été des émigrés dans le pays d’Égypte ». (Lévitique 19,33-34)

Cette loi morale datant d’il y a plus de 3000 ans peut résonner de différentes façons en nous, en 2021. Comme une question qui semblait déjà faire débat dans l’Antiquité, puisqu’elle y trouve mention dans la Thora. Ou encore comme un appel intemporel, un postulat quasiment universel d’une égalité de droits pour tous, indigènes ou non. Donc un objectif, une vision à ne pas perdre de vue et à atteindre peu à peu.

Indéniablement, il a paru important aux rédacteurs du premier testament d’y inscrire la revendication de l’amour du prochain et de l’accueil de l’étranger en lui donnant un ancrage au sein de l’expérience du peuple d’Israël, de son exil dû aux souffrances vécues en Égypte, tel que nous pouvons le relire dans le livre de l’Exode, au tout premier chapitre : « Alors les Égyptiens asservirent les fils d’Israël avec brutalité et leur rendirent la vie amère par une dure servitude : mortier, briques, tous travaux des champs, bref toutes les servitudes qu’ils leur imposèrent avec brutalité. » (Exode 1,13-14)

Le terme « Exode », un mot grec signifiant « sortie », « départ », marque une expérience clé du peuple de Dieu qui a fui, qui a choisi l’exil devant un pharaon les forçant aux servitudes avec brutalité. Il n’a y donc là rien d’abstrait, c’est purement et simplement l’expérience commune qui implique une réciprocité solidaire.

Cette notion de solidarité est basée sur le principe de l’intégrité de la dignité humaine qui lui revient par son existence même, inconditionnellement. Les lois ont la fonction de garantir à tous une protection et une existence sociale. Ce que le code de l’alliance entre Dieu et son peuple rappelle à plusieurs reprises, les prophètes l’ont accentué en dénonçant les inégalités sociales et en plaidant la défense des plus démunis.

En regardant toute l’Écriture, nous pouvons voir que l’exode du peuple d’Israël n’est pas le seul récit concernant une fuite, un exil : rappelons-nous Abraham et sa femme Sara, réfugiés en Égypte à cause d’une famine (Genèse 12, 10). Toujours à cause d’une famine, Isaac dut quitter son pays et fuir (Genèse 26.1). Pensons aussi à Moïse, qui est venu en aide à un israélite et a tué un Égyptien. Pour échapper ensuite à la vengeance du pharaon égyptien, Moïse s’enfuit à Madian (Exode 2, 11-15). Noémi, elle aussi, à cause d’une famine, a dû quitter sa patrie et se réfugier avec sa famille dans le pays de Moab (Ruth 1, 1.). Et puis il y a eu les fils de Jacob qui ont été quémander de la nourriture en Égypte.

Et puis n’oublions pas Jésus. L’Évangile de Matthieu nous rapporte que peu de temps après sa naissance, il a dû fuir en Égypte avec ses parents pour échapper aux soldats d’Hérode (Matthieu 2, 13-15). Après sa mort et sa résurrection, ses disciples n’allaient pas mieux. En raison de leur foi en Jésus-Christ, ils ont été persécutés et ont dû fuir (Actes 8, 1).

Le thème de la fuite traverse donc toute la Bible. Sans cesse il y est question de personnes obligées à se mettre en route, déracinées, réfugiées, à la recherche d’une terre qui les accueille. De manière fascinante, tout comme les récits de la Bible dialoguent avec chaque époque dans laquelle ils sont lus, les images de réfugiés de notre temps ressemblent étrangement à celles des temps bibliques.

Nous y reconnaissons des gens marqués, fatigués n’ayant plus que leurs bras et leur dos pour porter, vers un ailleurs incertain, ce qui leur reste : leurs enfants, quelques habits, une couverture…ils ont peut-être dû fuir la famine, comme Abraham, Sara, Isaac ou Noémi. Ou, comme Moïse, ils ont défendu des communautés opprimées. Ou alors, c’est leur foi ou leurs convictions qui ne sont pas tolérées dans leur pays.

Aussi différentes que puissent être les raisons d’une fuite, une chose est commune à toutes les personnes réfugiées: elles ont dû quitter leur patrie, leur environnement habituel. Elles sont parties, elles ont peut-être traversé la Méditerranée à bord d’un vieux bateau à peine navigable et elles ne savent pas ce qui les attend. Pour sauver leur peau, elles ont dû laisser derrière elles tout ce qui faisait leur vie d’avant : leurs familles et amis, un parcours professionnel et leurs biens. C’est pourquoi la plupart des personnes réfugiées arrivent littéralement les mains vides. Si elles arrivent.

Il n’y a qu’une chose qu’elles n’ont pas perdue : leurs compétences et leurs talents. Et c’est sur cela qu’elles veulent s’appuyer pour s’en sortir. Les réfugiés ne cherchent pas en premier lieu l’aide de l’État, au contraire, ils veulent avoir la possibilité de subvenir eux-mêmes à leurs besoins dans le pays d’accueil. Malheureusement, cela leur est souvent rendu difficile, voire impossible. Dépendants de l’aide de l’État, leurs chances de s’intégrer socialement diminuent nettement après chaque durcissement de la loi sur l’asile. Cependant toutes celles et ceux qui ont déménagé dans une région étrangère pourront le confirmer: c’est précisément à travers une activité scolaire ou professionnelle que naissent des relations sociales permettant d’avoir des projets d’avenir, de trouver sa place et de s’épanouir.

Revenons à nos réfugiés bibliques. Ils ont eux aussi dû laisser beaucoup de choses derrière eux et se lancer vers un avenir incertain. Mais ils l’ont fait en toute confiance en un Dieu qui marche avec eux. En faisant confiance à celui qui est «un Dieu miséricordieux et bienveillant» (Exode 34, 6). Confiant en celui dont l’Évangile dit qu’il aime le monde et qu’il a même envoyé son fils pour sauver le monde (Jean 3, 16-18).

Ce fils de Dieu – Jésus-Christ – s’est toujours tourné vers les gens qui étaient en marge de la société. Et il a non seulement vécu la solidarité avec les pauvres et les faibles, mais a légué ce même souci à ses disciples tout en faisant de l’aide apportée aux plus démunis une question décisive. Comme nous l’avons entendu, dans le discours du jugement dernier (Matthieu 25, 31-46), Jésus parle même explicitement du souci des étrangers: «J’étais un étranger et vous m’avez recueilli» (Matthieu 25, 35).

Avec les réfugiés bibliques, Dieu avait de grands plans et il les a fait aller de l’avant. Les «réfugiés économiques», Abraham et Sara, sont devenus patriarche et matriarche du peuple d’Israël. Le «réfugié politique», Moïse, a fait sortir le peuple d’Israël d’Égypte. Et les chrétiens persécutés pour leur foi en Jésus-Christ ont aidé à répandre le christianisme dans le monde.

Plus près de nous, on peut penser aux huguenots, ces réfugiés protestants persécutés en France au 17e siècle qui ont trouvé en partie accueil chez nous. On peut également penser à tant d’autres vagues d’exilés dont nous nous souvenons à peine mais qui ont pu être absorbées par les efforts et la volonté commune – pensons aux familles chiliennes fuyant Pinochet, aux boat-people vietnamiens et cambodgiens ou encore aux réfugiés tamouls du Sri Lanka. Ils ont refait leur vie parmi nous, leur fuite n’était qu’une étape. L’objectif était et reste toujours une vie meilleure.

Engageons-nous pour que les réfugiés actuels aient une chance chez nous et puissent utiliser leurs compétences et leurs talents au sein de notre société ! Qu’ils puissent y terminer leur formation professionnelle même s’ils risquent d’être déboutés ! Soutenons l’aide aux personnes déplacées au Venezuela, au Bangladesh dans les camps de réfugiés rohingyas et en Syrie ou encore en Suisse. Car en fin de compte, nous ne connaissons pas les projets que Dieu a pour eux – pour nous non plus d’ailleurs – mais nous avons bien des raisons de croire que Dieu nous invite à penser « généreux », à avoir des attitudes concrètes qui servent la vie.

Hier et aujourd’hui a lieu, au Temple du Bas, l’action d’envergure nationale intitulée «Les nommer par leur nom». À cette occasion, les noms de milliers de personnes disparues dans la mer Méditerranée ou abattues aux frontières seront évoqués : des hommes, des femmes, des jeunes, des enfants, des bébés (…)». Leurs noms seront lus à voix haute au temple du Bas, mais aussi écrits sur des banderoles qui seront suspendues à la passerelle de l’Utopie.

Souvenons-nous que : tout ce « que vous avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! », nous dit Jésus. Car «J’étais un étranger et vous m’avez recueilli».

Amen.

Prédication basée sur le dossier du dimanche des réfugiés élaboré par l’EPER et rédigé par Liliane Gujer, pasteure du Par8 à Grandval dans le Jura.

Image par cocoparisienne de Pixabay