Passer un cap

Prédication du culte du 12 janvier 2025 à Rochefort. Premier dimanche après l’Épiphanie.
Lectures bibliques: Josué 3,1-17 et Matthieu 3,13-17

Passer un cap

Avez-vous bien fêté le Nouvel an? Avez-vous bien «passé le cap»? Car oui, c’est un cap, un passage. Et même si cela peut sembler peu de chose: on se couche le soir et lorsqu’on lève le lendemain on est déjà à l’année suivante, ce n’est pas rien. Nous venons de clore une nouvelle année de vie!

Un coup d’œil dans le rétroviseur et voilà que défilent les événements qui ont rythmé 2024. Événements internationaux et nationaux, culturels et sportifs, collectifs et personnels. En vrac, 2024 aura été l’année des bombardements au Liban, des inondations en Espagne, des Jeux olympiques de Paris, de la chute de Bachar al-Assad, de la réélection de Donald Trump et bien d’autres choses.

Et dans nos parcours de vie, 2024 nous aura fait traverser des succès et des réjouissances mais aussi des épreuves, des deuils, des séparations, des maladies. En 2024, nous sommes tombés, nous nous sommes relevés, nous avons accompli des choses, nous avons renoncé, persévéré, entrepris, célébré. Nous avons à notre actif des échecs mais aussi de belles réussites. Les personnes que nous sommes au seuil de 2025 ne sont plus tout à fait les mêmes qu’il y a un an. Voilà qui nous sommes aujourd’hui pour appréhender les semaines, les mois qui se présentent devant nous.

Aucune année ne ressemble à la précédente. Aucune n’est semblable à la suivante. Et quand bien même la vie se poursuit linéairement, il est bon de s’arrêter un temps et de marquer le passage d’une époque à l’autre.

Marquer un passage. Voilà à quoi est appelé le peuple hébreu au début du livre de Josué. Marquer le passage entre l’avant et l’après. Entre 40 ans d’errance dans le désert et l’entrée dans la Terre promise.

Une lecture théologique

Il est assez délicat aujourd’hui de lire ces textes de l’Ancien Testament. L’évocation de la terre promise, du peuple d’Israël ou de la conquête ne peut se faire en ignorant la situation politique actuelle du Proche Orient. Certaines velléités politiques s’appuient sur ces textes pour revendiquer la possession de régions entières en faisant usage d’une violence sans nom. Il est primordial de rappeler que nous ne faisons pas une lecture politique des textes de l’Ancien Testament, mais que nous en faisons une lecture théologique.

Nous abordons ces textes avec la conviction qu’ils peuvent nous aider à saisir quelque chose de Dieu et qu’ils peuvent être un appui à notre vie de foi. Ainsi lorsqu’il est question du peuple d’Israël, il ne s’agit pas d’un groupe ethnique, d’une population précise déterminée par hérédité. Le peuple d’Israël, c’est le peuple de Dieu. C’est-à-dire l’ensemble des personnes qui se reconnaissent croyantes et croyants et qui forment, de par le monde, une communauté d’hommes, de femmes, d’enfants de tous horizons, de tout âge, de toute condition.

La Terre promise n’est pas un pays géographiquement déterminé sur lequel il s’agit d’exercer son pouvoir et sa possession. En tout temps, des gens ont confondu la promesse théologique et spirituelle de Dieu avec une volonté de pouvoir politique et matériel. Certains textes bibliques sont eux-mêmes témoins de ces errances. Ainsi l’entrée est terre promise est tantôt racontée comme une assimilation pacifique des populations résidentes, parfois présentée comme une procession religieuse, ou alors le théâtre des pires massacres.

Il est primordial pour trouver aujourd’hui encore du sens à ces textes anciens, d’être très attentifs aux mots que nous utilisons et de dissiper d’éventuelles assimilations avec des velléités politiques de l’Israël actuel.

Marquer le passage

Nous voici au début du livre de Josué. Un moment de passage très important. Passage concret du Jourdain: il y a une rivière à traverser. Mais aussi passage de témoin entre Moïse, le guide, et son successeur Josué. Passage également d’une vie de nomades en recherche à la vie de peuple installé. Et comme souvent dans le monde de la Bible, les passages importants sont marqués. Et comme bien d’autres fois, celui-ci est marqué par la traversée de l’eau.

Si je vous avais fait deviner le texte d’aujourd’hui en vous disant qu’il était question d’eau qui se retirait pour qu’un peuple puisse traverser à pied sec, ce n’est sans doute pas ce passage que vous m’auriez cité. Il est intéressant de noter que les 40 ans de marche du peuple dans le désert sont marqués en leur début par la traversée de la mer rouge et à leur fin par un passage du Jourdain. Et que ces deux récits comportent pas mal de traits communs.

Le peuple est maintenant à bout touchant. La terre promise est là, de l’autre côté du Jourdain. Il suffit de passer de l’autre côté. Mais soudain, tout ne semble pas si simple. Quand on a poursuivi un but pendant tant d’année, la perspective de l’accomplissement crée un certain vertige. On s’était fait à une vie en quête, trouvera-t-on des raisons d’avancer encore?

Et voilà que juste avant de passer, Moïse meurt. Il incarnait la vie d’avant, celle de la libération et du chemin. Maintenant c’est à d’autres d’incarner la vie nouvelle. Un cap à passer pour le peuple. Un cap à passer pour le successeur désigné: Josué. Arriver après une personnalité aussi forte que Moïse est un défi de taille pour Josué. Il lui faudra se faire sa place. C’est le défi que rencontrent toutes les personnes qui prennent des responsabilités importantes à la suite d’une figure marquante. Demeurer fidèle à l’héritage tout en incarnant sa propre ligne. Josué ne sera pas Moïse, il sera lui. Chaque vocation est individuelle. Et Dieu sera avec lui comme il l’a été avec son prédécesseur. Le texte est là-dessus très clair. «Je vais affermir ton autorité aux yeux de tous les Israélites. Ils sauront que je suis avec toi comme j’ai été avec Moïse.» Ainsi, le miracle de l’eau qui s’ouvre vient attester de la puissance de Dieu et de son soutien à Josué.

La continuité

Le peuple change de guide et change de vie. Mais un objet marque la continuité : l’arche de l’alliance. Ce grand coffre contenant les tables de pierre sur lesquelles sont gravées les 10 paroles que Moïse a reçues au Sinaï a été porté jour après jour, heure après heure dans l’immense périple du peuple. Ce coffre marque la présence de Dieu dans son peuple. Pendant la marche, c’est au milieu du peuple que l’arche se trouvait, soutenue par des porteurs. Au moment du passage du Jourdain, c’est à l’avant que l’arche se place. Comme pour donner une direction, un horizon. Inviter à lever le regard et à le porter plus loin, sur l’avenir.

Au moment clé du passage d’une vie ancienne a une nouvelle vie, la place de Dieu change pour le peuple. Dans leur vie d’errance nomade, le Seigneur faisait partie de leur quotidien, de leur routine. Il faisait partie de la famille, présent au milieu de leur réalité. Maintenant qu’un grand changement s’opère, on donne à Dieu une autre place. Celle de montrer la direction à prendre. On place en lui la confiance. Et on se lance à sa suite. Sans la confiance que le peuple plaçait en Dieu, jamais ces hommes et ces femmes n’auraient osé traverser le Jourdain. Rivière frontière entre le passé et le futur. Passage d’une vie à l’autre. Traversée par l’eau. Dans cette même rivière où, des années plus tard, Jésus entrera pour être baptisé.

Le passage, une occasion de requestionner l’essentiel

La vie de 2024 est désormais derrière nous. Devant se profile 2025. Choisirons-nous de placer, nous aussi, Dieu en avant de nous ? A une place qui nous fait lever le regard? Ou bien choisirons-nous de le garder dans notre routine?

Le passage est quelque chose d’important. Les récits bibliques nous rendent attentifs à l’enjeu de marquer ces passages symboliquement. Et d’en faire des occasions de se repositionner, de modifier quelque chose dans nos vies, de redonner priorité à l’essentiel. Le changement d’une année à l’autre est un passage. Mais il y en a d’autres. D’autres occasions à marquer. Un jubilé, un départ à la retraite, un nouveau travail, un mariage, un deuil… Autant d’événements à marquer dans nos vies pour que celles-ci prennent toujours plus de sens.

Autant de moments qui nous font passer d’un état à l’autre, sous le regard de Dieu. Et qu’avec lui, notre marche continue. Que Dieu assure notre pas. Lui qui nous fait traverser à pied sec quand bien même les flots coulent et menacent parfois. Quels seront vos passages? La question je vous la laisse. Puissent-ils devenir des occasion de retrouver du sens, marqués sous le regard de Dieu.

Belle et bonne année 2025 à vous! Amen