Prédication narrative de la Veillée de Noël le 24 décembre 2024 à Colombier.
Lectures bibliques: 1 Samuel 17,32-40 et Luc 2,8-20
Un berger rêveur
Mon frère est devenu fou. Il faut dire que depuis toujours, il été considéré comme un original. Quand on était petits, il aimait se prendre pour David. Il s’était construit une cuirasse avec laquelle il pouvait à peine bouger, comme son héros. Il a toujours été rêveur. Cette histoire de David contre Goliath le fascinait. L’idée qu’il existe la possibilité pour les petits de surpasser les grands… On y croit quand on est enfant.
D’ailleurs, c’est sans doute un peu pour ressembler à David qu’il est a choisi de devenir berger. D’habitude, on est berger de père en fils. Mon père était scribe à Jérusalem. Il espérait bien entendu que son fils embrasserait la même carrière que lui. Alors vous imaginez sa tête le jour où Zacharie est venu lui dire qu’il abandonnait ses études pour devenir berger…
Depuis, il est devenu le paria de la famille. Mes parents ont été la risée du quartier et ça a été très difficile à vivre pour eux. Ils ont bien essayé au début de valoriser cette vocation. Symboliquement, la figure du berger, c’est quelque chose. C’est le meneur, le guide. Celui qui se tient à la tête. Mais ça n’a convaincu personne. Alors mes parents et mon frère ont pris leurs distances, insidieusement. Sans décider vraiment de rompre la relation, mais en laissant le silence, le temps et l’espace s’installer entre eux. La mauvaise réputation que les bergers traînent derrière eux est trop tenace. On se méfie d’eux. Ils passent des mois seuls dans les montagnes avec les troupeaux. On ne sait pas trop ce qu’ils font pendant tout ce temps. On les soupçonne de voler du lait ou même de se faire rôtir une bête de temps en temps et de mettre cette perte sur de dos de prédateurs. Les propriétaires des troupeaux se plaignent souvent, ils les traitent de menteurs. Mais ils doivent tout de même rester en assez bons termes, car leurs troupeaux sont entre leurs mains. C’est tout un équilibre à trouver entre confiance et méfiance. Et puis les bergers, ils fait être honnêtes, ils sentent mauvais, c’est terrible ! Ils sont tellement dans leur jus qu’ils ne réalisent même plus. Alors quand une fois de temps en temps ils reviennent en ville, personne ne s’approche d’eux.
Une révélation
Ça fait des mois qu’on n’a pas vu Zacharie. Comme c’est la période du recensement, la ville est en effervescence. Il y a des gens partout, toutes les auberges sont complètes et les rues grouillent de monde. Ce n’était vraiment pas le bon moment pour lui pour refaire surface. Mais tout à coup, hier soir, alors que nous mangeons tranquillement chez ma sœur, il arrive. Il entre, comme s’il était parti le matin même. Les yeux écarquillés, il commence à nous raconter ce qui lui est arrivé la nuit précédente.
Mon père lui coupe tout de suite la parole : tu laisses ton troupeau sans surveillance, pour venir nous raconter un rêve ? Non mais tu as perdu la tête ! D’après mon frère, ce n’est pas un rêve. Avec ses compagnons, ils dormaient à l’abri d’un arbre quand ils ont été réveillés par une lumière. C’était un ange. Celui-ci leur a dit qu’un enfant venait de naître et qu’ils devaient se rendre auprès de lui. Oui, je sais, cela paraît complètement fou, mais je ne fais que vous rapporter ce que Zacharie nous a dit.
Où en étais-je ?… Ah oui, quand l’ange a dit à mon frère d’aller voir le bébé. On a failli ne pas avoir la suite, parce qu’à ce moment là, mon beau-frère s’est levé et a menacé de le frapper s’il n’arrêtait pas ses histoires. C’est un impulsif mon beau-frère. Il réagit au quart de tour. Il lui reprochait de débarquer sans prévenir et de tourner la tête des enfants avec ses histoires d’anges. Passait encore qu’il nous raconte ses balivernes, mais pas qu’il essaie d’embobiner mes neveux avec ses histoires à dormir debout. On a envoyé les enfants se coucher, mon beau-frère s’est calmé, et mon frère s’est assis à table pour continuer. Il s’est assis à côté de moi. J’étais passablement incommodée par l’odeur, mais je n’ai rien dit. Même si je ne croyais pas grand chose à ce qu’il racontait, j’étais contente de le revoir et j’avais envie de connaître la suite.
Avec ses compagnons, Zacharie a entrepris de trouver ce nouveau-né, le descendant de David, a-t-il dit. Dans une étable, ils ont trouvé un jeune couple. La femme venait de mettre au monde un garçon. Ils se sont agenouillés devant lui et ont ressenti le devoir d’annoncer la nouvelle au monde entier. Ma sœur lui a ri au nez : ces jeunes parents ont dû vous prendre pour des fous ! Et puis Zacharie est parti comme il était venu, tout à coup. Sans vraiment nous dire au revoir, il s’est levé et a dit qu’il devait désormais aller annoncer la naissance du Sauveur d’Israël.
Une parole qui se transmet
C’était il y a trois jours. Et depuis, tout le monde ne parle que de ça. Zacharie a continué sa tournée. Il est allé raconter ses mésaventures à toutes les familles qu’il connaît. Depuis, les gens défilent chez nous. Ils nous demandent de leur en dire plus, comme si on en savait plus, nous. L’histoire grossit de fois en fois, tout le monde y va de son détail. Il paraît que…, on m’a dit que…, et même que… etc. Maintenant, ce n’est pas un ange qui leur a parlé mais une nuée qui chantait. En tout cas, on peut dire que ça fait parler.
Il y a ceux qui trouvent toute cette histoire stupide et qu’on ferait mieux de l’oublier. Zacharie passe pour un fou, alors il n’y a rien d’autre à comprendre. On ne va quand même pas croire ses bêtises ! Il y a ceux qui le soupçonnent d’avoir volé de l’alcool et d’en avoir bu avec excès. Selon eux, c’est la seule manière d’expliquer l’apparition des anges. Ceux qui connaissent le mieux les histoires religieuses, les scribes anciens collègues de mon père, disent que tout ça est impossible. Eux, ils croient à l’apparition d’un ange parce qu’il est arrivé par le passé à Dieu de communiquer ainsi avec des hommes. Mais ils disent que c’est impossible que Dieu se soit adressé à des bergers. Il aurait choisi des gens bien, pas des marginaux. Des gens bien, comme des scribes par exemple…. D’autant plus, argumentent d’autres, qu’on sait bien que les prophètes ont annoncé que le Sauveur serait un descendant du grand roi David. Il est donc de lignée royale. Rien à voir avec cet enfant, trouvé par hasard dans une vulgaire étable.
Depuis trois jours, tout le monde ne cesse de débattre de la question et de chercher des arguments qui démontent le témoignage de ces bergers. Moi, je dois dire que ça me plaît assez d’imaginer qu’il y a quelque chose de vrai dans tout ça. Ça me plaît de penser que Dieu nous prend de court. Qu’il ferme leur caquet à ceux qui croient tellement bien le connaître qu’ils finissent pas savoir mieux que lui ce qu’il doit faire et comment le faire. Dieu est quand même libre de se manifester comme il l’entend, non ? Et puis, je me dis qu’ils sont un peu jaloux, ces prêtres et ces scribes qui consacrent leur vie aux lois de Dieu, de ne pas être les chouchous.
J’ai assez envie d’y croire, à ce Dieu qui se frotte à la réalité humaine, sans chichis, loin du confort d’un palais royal, loin des fioritures du Temple. Au final, je ne sais pas qui a raison. J’ai beaucoup de tendresse pour mon frère, mais je ne nie pas qu’il est un peu bizarre parfois. Je ne saurai jamais ce qui s’est véritablement passé cette nuit là. Finalement, je crois que je n’ai pas besoin de le savoir.
Ce qui est sûr, c’est que cette aventure a remis en question mon image de Dieu. Désormais, je me poserai toujours la question : est-il celui que je crois connaître ? Est-il celui que j’aimerais qu’il soit ? A l’époque, personne n’y a cru lorsque le frêle David s’est présenté devant le géant Goliath armé seulement de ces quelques cailloux lisses qu’il avait ramassé par terre. Et pourtant…
Finalement, il ne faut peut-être pas trop s’inquiéter avec cette histoire d’étable et de bergers. Elle est sans doute condamnée à tomber rapidement dans l’oubli. A moins que…
A moins qu’à votre tour vous la transmettiez.
Amen