Prédication du culte de la Réformation du dimanche 3 novembre 2024 au temple de Rochefort, par Pierre Bühler, professeur de théologie systématique à la faculté de théologie de Neuchâtel puis de Zurich.
Lectures bibliques:
(13) En effet, quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé [Joël 3,5]. (14) Or, comment invoqueraient-ils, sans avoir cru en lui ? Et comment croiraient-ils en lui, sans l’avoir entendu ? Et comment l’entendraient-ils, si personne ne le proclame ? (15) Et comment le proclamer, sans être envoyé ? Aussi est-il écrit : Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles ! [Esaïe 52,7] (16) Mais tous n’ont pas obéi à l’Évangile. Esaïe dit en effet : Seigneur, qui a cru à notre prédication ? [Esaïe 53,1) (17) Ainsi, la foi vient de l’écoute, et l’écoute par la parole du Christ.
Romains 10,13-17
(1) De nouveau, Jésus se mit à enseigner au bord de la mer. Une foule se rassemble près de lui, si nombreuse qu’il monte s’asseoir dans une barque, sur la mer. Toute la foule était à terre face à la mer. (2) Et il leur enseignait beaucoup de choses en paraboles. Il leur disait dans son enseignement : (3) « Ecoutez. Voici que le semeur est sorti pour semer. (4) Or, comme il semait, du grain est tombé au bord du chemin ; les oiseaux sont venus et ont tout mangé. (5) Il en est aussi tombé dans un endroit pierreux, où il n’y avait pas beaucoup de terre ; il a aussitôt levé parce qu’il n’avait pas de terre en profondeur ; (6) quand le soleil fut monté, il a été brûlé et, faute de racines, il a séché. (7) Il en est aussi tombé dans les épines ; les épines ont monté, elles l’ont étouffé, et il n’a pas donné de fruit. (8) D0’autres grains sont tombés dans la bonne terre et, montant et se développant, ils donnaient du fruit, et ils ont rapporté trente pour un, soixante pour un, cent pour un. » (9) Et Jésus disait : « Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! »
Marc 4,1-9
Dans un de ses romans, Frédéric Dard, alias San Antonio, disait que, parmi ceux qui font des discours, il y a ceux qui veulent se faire entendre et ceux qui s’écoutent parler ! En principe, quand on monte en chaire pour prêcher, le but ne devrait pas être de s’écouter parler, sans trop d’égards pour les auditeurs, mais plutôt de se faire entendre. Toutefois, cela veut dire qu’au moment de commencer cette prédication, je présuppose que vous voulez bien m’écouter, mais aussi que je m’engage à m’adresser à vous avec respect, et en me souciant de répondre de manière adéquate à cette écoute que vous m’offrez !
Ces quelques remarques introductives nous rendent attentifs au thème de l’écoute, et nous voulons ce matin réfléchir ensemble à sa signification et à ses enjeux, à son importance pour notre vie quotidienne, nos rapports à celles et ceux qui nous entourent, notre relation au monde. Pour ce faire, je vous propose de nous mettre à l’écoute du texte de l’épître aux Romains lu tout à l’heure, qui justement parle de cette écoute, notamment dans son dernier verset : « Ainsi, la foi vient de l’écoute, et l’écoute par la parole du Christ. »
Nous fêtons aujourd’hui le culte de la Réformation, fixé au premier dimanche de novembre parce que Martin Luther a publié ses 95 thèses contre les indulgences un 31 octobre, le 31 octobre 1517. Le texte de l’apôtre Paul que j’ai choisi se prête bien aussi à cette fête, car la traduction latine de ce passage a conduit à un véritable mot d’ordre des Réformateurs du XVIe siècle : fides ex auditu. La foi n’est pas quelque chose que l’on acquiert en faisant des bonnes œuvres, que l’on peut faire valoir comme un mérite dont on serait l’artisan. Non, la foi vient de l’écoute, elle naît en prêtant attention à la Parole de Dieu, et c’est cette Parole qui suscite la foi en celle et celui qui écoute. Et Luther, notamment, n’hésitait pas à souligner très concrètement cette dimension auditive, l’importance de notre organe de l’ouïe. C’est en résonnant à nos oreilles que la Parole atteint notre cœur. Et comme Jésus le dit au terme de sa parabole : « Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » La parole est comme le grain que répand le semeur : elle peut tomber au bord du chemin, en un endroit pierreux, dans les épines ou dans la bonne terre, où elle pourra porter du fruit en abondance.
Dans son épître aux Romains, Paul souligne la même chose. En citant plusieurs fois des passages des prophètes de l’Ancien Testament, il construit une chaîne d’implications : pour être sauvé, il faut invoquer le nom du Seigneur ; pour l’invoquer, il faut croire en lui ; pour croire, il faut l’avoir entendu ; pour qu’on l’entende, il faut qu’il soit proclamé ; pour le proclamer, il faut être envoyé, comme l’apôtre lui-même. Et pour marquer cet envoi, il cite Esaïe : « Qu’ils sont beaux, les pieds de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles ! » En attirant ainsi l’attention sur les pieds de ceux qui proclament, Paul veut marquer que la Parole circule, qu’elle est en marche, qu’elle se répand partout. C’est la course de l’Evangile dans le monde, et nous sommes appelés à le recevoir, à l’accueillir et à le laisser fructifier en nous de manière multiple. Car « la foi vient de l’écoute, et l’écoute par la parole du Christ. »
Cette insistance sur l’écoute sous l’angle de notre rapport à Dieu nous rend attentifs à une réalité qui, dans nos vies quotidiennes, s’avère ambiguë : importante, vitale, d’une part, mais en même temps exposée, fragile, bafouée. En effet, notre vie dépend fondamentalement de l’écoute. Les personnes atteintes de surdité savent bien combien ce handicap est particulièrement pesant, parce qu’il isole. Et ce n’est peut-être pas un hasard si l’organe de l’équilibre se situe dans l’oreille interne. L’ouïe est liée de manière étroite à notre équilibre de vie, parce que par elle passe ce qui nous touche de très près : ces paroles que nous échangeons, paroles qui réconfortent ou qui blessent, paroles qui accusent ou qui pardonnent, paroles qui séparent ou qui unissent, paroles qui découragent ou encouragent, et dans toutes ces paroles se joue notre reconnaissance, notre valeur, notre dignité.
Mais nous savons aussi combien l’écoute réciproque connaît de revers, d’échecs : que de paroles superficielles, vides, bavardes peuvent se répandre, saturant et lassant nos oreilles qui, comme me le disait récemment une collègue, n’ont malheureusement pas de paupières ! Jacques Brel a consacré une chanson à cette parlotte qui vient inonder notre ouïe, nous empêchant souvent d’entendre l’essentiel, le décisif. Que de lacunes dans notre écoute, que d’occasions ratées. Combien de fois passons-nous à côté d’appels pressants, de cris même, que nous n’entendons pas, que parfois nous ne voulons pas entendre. Notre époque, pourrions-nous dire, a mal à l’écoute. Et pourtant, paradoxalement, il n’y a jamais eu autant de moyens techniques de communication. Mais ceux-ci parfois bloquent la communication, au lieu de la favoriser. Les avez-vous déjà observées, ces personnes qui sont en route avec leurs écouteurs sur ou dans les oreilles ? Ils écoutent, certes, mais tout à fait ailleurs, et il faut parfois bien des efforts pour les faire sortir de leur bulle d’écoute. Les avez-vous déjà vues, ces personnes marchant penchées sur leurs portables, tellement distraits par leurs messages qu’elles deviennent parfois même victimes de graves accidents ?
Les êtres humains semblent perdre cette écoute qui pourtant leur est vitale. Comment la retrouver ? Le pari de la foi chrétienne, c’est qu’il n’est possible de la retrouver que parce qu’un autre a été toute ouïe pour les humains. Dieu nous écoute, il nous prête attention. Kurt Marti, un pasteur-poète bernois a souligné l’écoute, l’attention comme une caractéristique fondamentale de Dieu. Il disait que nous pourrions définir Dieu comme l’Attentif, avec un « a » majuscule. En nous écoutant, il nous donne de nous ouvrir à sa parole, qui se répand en nous, comme une graine qui veut germer en nous, dit la parabole de Jésus. Et c’est dans cette écoute, dans cette attention que peut naître la foi, c’est-à-dire la confiance, une confiance qui, parce qu’elle est née de l’attention du « Grand Attentif », peut, elle aussi, être attention, réceptivité, accueil. Ainsi, nous pourrons nous écouter les uns les autres de manière nouvelle, dans ce qui nous touche, nous tient à cœur, nous blesse et nous réconforte, nous inquiète et nous régénère.
J’aimerais terminer en vous proposant brièvement quelques pistes pour prolonger notre réflexion sur cette dimension de l’écoute. Elles seront au nombre de quatre.
a) Tout d’abord, c’est un témoignage historique : Etty Hillesum, la jeune Juive néerlandaise morte à Auschwitz, dont je parlerai dans ma conférence le 21 novembre à Bôle, écrit dans son journal : « Ce que je fais, c’est […] ‘écouter en profondeur‘, en moi-même, chez les autres, dans le monde. J’écoute de tout mon être, avec une grande intensité et j’essaie par cette écoute d’atteindre le fond des choses. » (148) – « Et quand je dis que j’‘écoute au-dedans‘, en réalité c’est plutôt Dieu en moi qui ‘est à l’écoute‘. » (719)
b) Pour en revenir brièvement à la Réforme : en insistant sur l’écoute, Luther y voyait aussi une limite très utile contre celles et ceux qui veulent imposer leur avis et obliger les autres à penser, à croire comme eux. Notre tâche, disait-il, c’est de veiller à ce que la parole arrive le mieux possible jusqu’aux oreilles. Mais comment elle va ensuite des oreilles jusqu’au cœur, cela n’est plus notre affaire, c’est à Dieu seul de s’en occuper.
c) Quelqu’un pourrait critiquer cette insistance sur l’écoute : n’est-ce pas trop passif ? C’est bien beau d’écouter, mais il nous faut agir. Que répondre ? Oui, certes, il faut agir, mais pour bien agir, il faut avoir bien écouté, avoir été attentif et avoir bien saisi les enjeux. Il est intéressant d’observer qu’en grec, l’écoute se dit akoe (de là nous vient le terme « acoustique »), et l’obéissance se dit hypakoe, de la même racine. On peut donc dire que la véritable obéissance, l’engagement actif, vient de l’écoute.
d) L’écoute, nous l’avons vu, est toujours en danger de se perdre. Il nous faut donc sans cesse l’exercer. Il y a différents moyens, mais j’aimerais n’en mentionner qu’un, de circonstance pour notre culte, celui de la musique. Ce n’est pas un hasard, si Luther a composé des cantiques, comme celui, célèbre, que nous chanterons tout à l’heure. Comme la parole, la musique concerne l’ouïe. On ne peut la voir, la toucher, ou même la flairer. On ne peut que l’entendre, ou mieux : l’écouter. La musique est donc une sorte d’école de l’écoute. Dans ce culte, nous entendons les chants du chœur et les morceaux de l’orgue. Écoutons la musique attentivement, et pensons, par la même occasion, à la richesse de tout ce qu’il y a à écouter dans nos vies.
« Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! »
Amen.