Ecoute et commentaire du Concerto pour orgue (op.7, no 5, Andante) de G.F. Haendel
La ligne mélodique basse est très marquée. C’est elle qui dicte le rythme. On l’appelle ostinato (basse « obstinée »). La deuxième ligne mélodique (haute) se dégage nettement. Dans les dix dernières secondes de l’Andante, on n’entend plus qu’elle.
De la première ligne mélodique se dégage un peu l’image d’un emprisonnement (tout est toujours pareil). A l’opposé de cette « cage », l’autre mélodie fait penser à un chant d’oiseau. NOUS sommes un peu comme des oiseaux en cage ; c’est une expérience de vie quotidienne. Une expérience fondamentale pour tous les humains. Simone Weil l’a très bien décrit en d’autres termes : la pesanteur et la grâce.
En finale (et en prélude), seule demeure la grâce. Nous pourrions en tirer l’impression d’une vie « engluée » et d’une délivrance à la mort. Mais il s’agit d’autre chose : l’émergence du chant d’oiseau évoque plutôt la force actuelle de la grâce, dans cette vie.
L’horizon biblique
La coexistence de ces deux réalités (cage et oiseau, pesanteur et grâce) nous rappelle notamment deux textes bibliques.
Le premier est le Psaume 22, qui commence avec ce cri : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Suit alors une série impressionnante de plaintes :
Et moi, je suis un ver et non un homme, L’opprobre des hommes et le méprisé du peuple.
22:7
Je suis comme de l’eau qui s’écoule, Et tous mes os se séparent; Mon cœur est comme de la cire, Il se fond dans mes entrailles.
22:15
Ma force se dessèche comme l’argile, Et ma langue s’attache à mon palais; Tu me réduis à la poussière de la mort.
22:16
Et tout à coup, sans aucune explication, un retournement complet ; un retournement que rien ne nous laissait espérer:
Tu m’as répondu !
22 :22c
Et ce Psaume se poursuit dans la louange…
Le second texte est celui de Romains 7, où l’on trouve le même retournement :
Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas.
7.19
Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi.
7.20
Je trouve donc en moi cette loi : quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi.
7.21
Car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur ;
7.22
mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon entendement, et qui me rend captif de la loi du péché, qui est dans mes membres.
7.23
Misérable que je suis! Qui me délivrera du corps de cette mort ?…
7.24
Grâces soient rendues à Dieu par Jésus Christ notre Seigneur !…
7.25
Réminiscence personnelle
Il y a bien longtemps, en situation de crise personnelle, j’entendais ce concerto de Haendel tout en lisant Amour et mariage de Louis Evely. Le puissant message de cet auteur venait renforcer ce que m’inspirait Haendel. Voici quelques extraits de Louis Evely :
« Une personne est un être qui a tellement plus d’avenir que de passé et de présent. Source d’inventions et de découvertes. Le meilleur de lui (d’elle) est encore caché. L’amour, c’est la foi qu’on met dans l’autre. Aimer un être, c’est espérer en lui pour toujours. Il y a toujours plus dans l’autre que ce qu’on a découvert. »
« Quand une femme croit connaître son mari, elle ne l’aime plus. […] Et quand un mari croit connaître sa femme, quand il se croit dispensé de l’observer, de l’écouter quand elle parle et de la faire parler quand elle se tait (ce sont les moments graves) […] il ne l’aime plus. […] Dès que vous croyez connaître un être, vous ne l’aimez plus. […] C’est terrible comme on peut se tuer en famille à force de se connaître. Combien d’enfants sont meilleurs hors de leur famille que dedans parce que dehors, on croit encore en eux et dedans, on les connaît. »
« Etre fidèle dans les ténèbres à ce qu’on a vu dans la lumière. Se créer mutuellement (et non pas se constater). La seule chose à éterniser, ce sont nos relations d’amour. »
Accentuer la dimension présente de cette « création » mutuelle. De même pour la vie éternelle. Je préfère l’appeler la « vraie vie », la vie authentique, la vie en abondance. Sous cette lumière, la vie n’est plus une cage dont il faudrait s’échapper. Elle est le lieu même de mon accession à la lumière
Toute cette perspective est devenue pour moi comme l’appel de l’oiseau, l’appel du large, l’appel du Haut ! Qu’elle vous aide aussi à vivre, au-delà des barreaux de la cage !
Yvan Bourquin