Trois femmes au tombeau

Prédication du dimanche de Pâques, 31 mars 2024 à Colombier
Lectures bibliques: Romains 4,18-24 et Marc 16,1-8

Marie-Madeleine! Qu’est-ce que t’a poussée à te lever si tôt ce dimanche matin là ? Avant même que le soleil ne se lève. Avant même que le temps du sabbat ne soit vraiment achevé. Est-ce le chagrin qui t’a empêché de trouvé le sommeil ? Depuis le vendredi, tes émotions t’ont-elles ne serait-ce qu’un moment permis de prendre un peu de repos ? Vous n’étiez plus très nombreux autour de lui, à la fin. Tes amies et toi, c’est tout. Tous les autres avaient déserté. Te sens-tu toi aussi abandonnée ?

Déboussolée certainement. Peut-être même déçue, voire amère d’avoir assisté à l’exécution cruelle de celui en qui tu avais placé de si grands espoirs. Que cherches-tu à accomplir encore ? Te raccroches-tu au rite comme on le fait quand tout semble s’écrouler autour de soi ? Retrouver la sécurité de gestes, de paroles et de signes que d’autres ont accompli avant toi. T’inscrire dans le « on a toujours fait comme ça » qui donne quelques repères quand on navigue en eaux troubles. Un dernier hommage à cet homme que tu as admiré, à cet ami. Ses derniers jours ont été odieux. Peut-être cherches-tu, au moins dans la mort, à lui rendre un peu de la dignité dont on l’a privé.

Ce matin-là, Marie-Madeleine, il faisait encore nuit…

Marie, mère de Jacques! Qu’est-ce qui t’a poussée à te rendre au tombeau ce matin là ? Vendredi déjà, tu avais eu besoin de savoir où on déposerait son corps. C’était important pour toi. Discrètement, tu avais suivi Joseph d’Arimathée pour connaître le lieu de sépulture. Les suppliciés n’ont en général pas droit à de tels égards, on jette simplement leurs corps à la fosse commune. Mais lui n’était pas comme les autres et même si beaucoup avaient fui, il restait quelques individus qui tenaient à lui. Joseph en faisait partie. Mais tu avais bien vu qu’ils avaient dû se mettre à plusieurs pour rouler l’énorme pierre qui en condamnaient l’entrée ? Une fois scellé, on ne rouvre pas un tombeau. Quelle idée de vouloir aller l’embaumer… maintenant ? Il est trop tard désormais.

En chemin avec tes amies, tu ne te demandes même pas SI vous réussirez à rouler la pierre mais QUI va le faire pour vous. Comme si … comme si tu espérais contre toute espérance que la providence serait de votre côté. Qu’attends-tu, Marie, de cette visite au tombeau ? De faire face à la mort de Jésus ? As-tu besoin de voir son corps sans vie pour que sa fin devienne réalité pour toi ?

Ce matin-là, Marie, tu t’es rendue jusqu’au tombeau.

Salomé! Qu’est-ce qui t’a pris d’entrer dans ce tombeau ? Pourquoi n’as-tu pas pris tes jambes à ton cou en voyant que la pierre avait été roulée ? Qui vous avait précédé ? La tombe profanée ! N’as-tu pas craint pour ta vie ? Toi la disciple d’un homme que les autorités avaient décidé d’éliminer. Et si des ordres avaient été donnés pour qu’il n’ait aucune sépulture connue ? Et si on voulait éviter que ses partisans viennent s’y recueillir ? Quelle force a mené tes pas jusqu’au creux de cette cavité ?

Tu étais venue embaumer un mort et voilà que la mort a déserté ce tombeau. Tu t’étais préparée à trouver un corps sans vie, rigide, allongé. Et voilà que tu te retrouves nez à nez avec un jeune homme assis, vêtu de blanc. Tu t’attendais au silence… Et voilà que tu reçois une parole. Tu croyais que c’était la fin… et si c’était en fait un début ?

Ce matin-là, Salomé, tu as franchi le pas.

Ne soyez pas effrayées

Marie-Madeleine, Marie et Salomé. Toutes trois ont osé au-delà peut-être du raisonnable. Espérant contre toute espérance. Levant les yeux, elles ont vu que la pierre était roulée. Et le tombeau était vide ! Le jeune homme en blanc, assis à l’endroit même où elles s’attendaient à trouver le corps de Jésus, les sort radicalement de tout ce qu’elles avaient imaginé, préparé et peut-être même appréhendé. Il les sort du silence par cette parole : ne soyez pas effrayées.

Mais bien sûr que si, elles sont effrayées ! Que pourrait-il y avoir de moins effrayant qu’un être – un ange peut-être – assis dans un tombeau vide ?!?

Cette parole n’a pas l’effet escompté. Le calme ne s’installe pas instantanément en elles. Elles restent pétries de peur. Ne soyez pas effrayés. Cette parole a une portée plus large. Elle est au cœur de l’annonce de la foi : n’aie pas peur. N’aie pas peur de la mort, n’aie pas non plus peur de la vie. Ne te sens pas terrorisé si à certains moments de ta vie tu te trouves en très grande proximité avec Dieu, ou si d’autres fois tu le sens si loin de toi. N’aie pas peur de l’autre. N’aie pas peur de ton prochain. N’aie pas peur des défis, des échecs. N’aie pas peur de toi-même.

Ne soyez pas effrayées. Vous étiez dans une logique de mort. Mais la mort n’est pas là. Le tombeau est vide. En soi, ce vide ne dit pas encore grand-chose, si ce n’est qu’il crée l’espace d’un autre possible. Ne soyez pas effrayées, dit le jeune homme en blanc. Vous cherchez Jésus de Nazareth, celui qu’on a cloué sur la croix. Il n’est pas ici. Il est revenu de la mort à la vie.

Il n’est pas ici

Il n’est pas ici. Bien sûr, elles cherchaient selon leur logique. Mais il n’est pas là où elle croyaient. Il n’est pas non plus tout à fait celui qu’elles pensaient. Il n’est pas ici. Non, il n’est pas là où vous croyez. Et peut-être est-ce un peu provocateur de le dire un matin de Pâques dans une Église, mais il n’est pas impossible, mes chers, que nous devions nous aussi affirmer : il n’est pas ici. Nous sommes venus à l’Église, un matin de Pâques. Parce que nous pensons, d’une manière ou d’une autre, y trouver Jésus. Et si le temple était aussi vide que le tombeau ? Il n’est pas là où nous allons le chercher. De même qu’il ne s’est pas laissé enfermer dans une tombe, de même il ne se laisse pas cloisonner dans nos rites, nos fêtes religieuses, nos liturgies, nos cultes, nos idées, nos théologies.

Il ne se laisse pas réduire à l’espace de nos Églises. Il est vivant, et la vie ne se laisse jamais contenir. Il n’est pas ici. Il vous précède en Galilée. Qu’est-ce que la Galilée pour ces femmes ? Qu’est-ce que la Galilée pour les disciples qui, quand bien même avaient abandonné Jésus dans ses derniers instants, ne sont pas rejetés par le Christ. Le Ressuscité n’est pas rancunier. Au contraire, la vie nouvelle restaure les relations.

La Galilée, c’est chez eux. C’est le lieu de leur enfance, les villages qui les ont vu grandir. C’est le lieu de leur héritage, d’un père et d’un grand-père pêcheurs qui leur a tout appris des gestes justes pour que les filets soient pleins. C’est le lieu des amitiés fidèles, des rencontres, des mariages aussi. La Galilée c’est le lieu de vie. C’est là et nulle part ailleurs que le Christ ressuscité prévoit de les rencontrer. Pas à Jérusalem, et encore moins dans le pèlerinage au lieu d’une sépulture qu’il n’habite pas.

Et vous, quelle est votre Galilée ? L’endroit dans lequel vous vous sentez chez vous ? Le Christ ressuscité vous y précède. J’aurais envie de vous dire de vous lever et de vous empresser d’aller le rejoindre. Mais nous allons rester ensemble encore un petit moment. Jusqu’à la fin du culte. Parce que peut-être qu’à l’enthousiasme qui nous pousserait à nous lever et à aller à sa rencontre se mêle un peu de crainte.

Pour qui passerons-nous ? Des fous ? Oserons-nous proclamer haut et fort que le Christ est ressuscité ? Ici, entre ces murs, cela va. Nous sommes dans l’espace sécurisé de l’église, ou serait-ce l’espace du tombeau ? Mais dehors ? Auprès des personnes que nous côtoyons dans notre Galilée… Passerons-nous pour des illuminés ?

La crainte, la peur, l’effroi… ont muré les femmes dans le silence. Ainsi se termine l’Évangile. Et pourtant, pourtant cette parole a trouvé des failles pour s’ébruiter. Jusqu’à nos oreilles. Jusqu’à notre cœur. Et si la pierre si lourde qui fermait le tombeau a été roulée, pourquoi tout ce qui mure dans le silence ne pourrait pas, également, faire place à l’ouverture ?

Le Christ est ressuscité !
Il est vivant et vous vivez.
Il n’est pas ici où vous le cherchez.
Il vous précède dans votre vie.

Amen