Prédication prononcée au temple d’Auvernier le dimanche 26 novembre 2023
Matthieu 25, 31-46
Pasteur Jean-Jacques Beljean
Les temps que nous traversons prêtent à tout, sauf à l’optimisme. Ukraine, Moyen-Orient malgré un faible espoir né d’échange d’otages et de prisonniers, et tant d’autres situations que nous ne connaissons que trop bien. Et s’ajoute à cela le phénomène global du dérèglement climatique du aux humains. Bref, tout cela nous inquiète et nous laisse comme un parfum d’impuissance.
Pourtant, beaucoup de stratégies nous sont proposées par les média, les politiques et les réseaux sociaux, qui vont de l’activisme au non agir. Tout cela provoque en nous des sentiments très mélangés : nous aimerions faire quelque chose mais, devant l’ampleur des problèmes nous avons envie de minimiser, de céder au fatalisme, de déclarer notre incompétence et, avouons-le, de détourner le regard..
Détourner les yeux ! Ne pas voir ! C’est le grand thème de cette longue parabole du chapitre 25 de l’Evangile selon Matthieu où, selon les traductions, le berger sépare les brebis des boucs, et les moutons des chèvres. Consultant les traductions je vois que les commentateurs hésitent. On dirait des ignorants des sciences ovines et caprines un dimanche après-midi à Planeyse ! Et pourtant, c’est assez simple. Si je remonte au texte grec, ce que je me suis empressé de faire je remarque qu’il y a, dans notre affaire, deux sortes d’animaux : les animaux domestiques (probaton) et les animaux sauvages, querelleurs (eriphos). Vous me pardonnerez le détour zoologique. Il est important et ce n’est pas sans raison qu’il faut s’y intéresser. Le texte ne distingue pas, en fait, entre les brebis et les boucs, ou les brebis et les chèvres mais entre civilisé, domestiques, et sauvages, rustres.
Ainsi, les choses vont s’éclairant…
Pour Matthieu, il y a ceux qui ont agi et ne savaient pas et il y a ceux qui savaient et qui n’ont pas agi. Va s’ajouter une catégorie : ceux qui savent, les lecteurs de l’Evangile, et qui sont invités à agir, c’est-à-dire nous et bien d’autres encore. Mais, dans notre monde, tout cela est mélangé au sein d’un grand troupeau, d’un grand magma de pensées, de philosophies, d’actes salutaires ou nocifs. Bref, par exemple, le grand fouillis, qui prévaut dans la situation moyen-orientale et qui nous laisse perplexes si l’on veut rester impartial et juste, sans manichéisme primaire catégorisant en bons et mauvais comme si, à l’image du troupeau, tout n’était pas mélangé.
Mais, comme nous le montre le texte, ce qui va compter ce n’est plus la nation ou la race mais bien plus le degré d’humanité, le degré de civilisation opposé à la barbarie.
Dans plusieurs cercles l’on pense que ce texte est présent pour décrire le jugement dernier. Or il n’en est rien. Ce texte est là pour éviter le jugement dernier. Il est un appel solennel aux humains, dans le cas d’espèce aux chrétiens, pour qu’ils s’éloignent de l’ensauvagement, pour qu’ils choisissent l’humanité et la civilisation, la vraie, qui est lutte pour les petits (visiter, nourrir, prendre soin, etc. et donc s’éloigner de la bestialité humaine.
Cette parabole, prononcée par Matthieu au nom de Dieu a pour objectif de faire changer de vie ceux et celles qui l’entendront. La création a fait de nous, naturellement, des sauvages (Adam, Eve, Caïn, Abel, les fils de Noé…). Mais la rédemption en Christ veut faire de nous des civilisés. La parabole nous appelle à passer du sauvage naturel à l’humain civilisé, de la brutalité à la correction et à l’amour du prochain. Des gens qui s’intéressent aux faibles, aux petits. Voilà sa spiritualité proposée par Matthieu : le faire aux petits, c’est le faire au Christ. Ne rien faire, c’est abandonner le Christ. La spiritualité de Matthieu n’est pas ésotérique ou méditative, elle est pratique et active.
Bien entendu, on peut penser à des êtres exceptionnels, à des figures comme l’abbé Pierre, le pasteur Dietrich Bonhoeffer, l’évêque anglican Desmond Tutu, à Matin Luther King et à tant d’autres anonymes et oubliés. Ils ont vêtu, nourri, habillé, accompagné, résisté. Ce sont de très grands civilisés.
Mais bien sûr, il y a nous, les gens ordinaires. Nous ne sommes pas des héros. Pour nous l’amour du prochain n’est pas toujours simple ni toujours spontané. Faire le bien, s’occuper des petits est parfois coûteux psychiquement, ce n’est pas toujours naturel. Mais ces ordinaires sont souvent aussi des gens remarquables car ils sont des sauvages qui essaient de se civiliser.
Il y a aussi ceux et celles qui ne font rien, même s’ils le pourraient, qui sont entièrement centrés sur eux-mêmes, leurs succès, leur grande personne qui est souvent petite en fait. D’autres sont injustes, fermés, font le mal et font mal, ne préparent pas l’avenir. Ils sont à plaindre car leur vie n’a pour horizon que la mort. Ce sont des sauvages. Et il y en a beaucoup.
Mais trêve de catégories. Elles sont mentionnées simplement pour comprendre ce qui se passe. Rien ne doit être figé car la parabole est justement là pour appeler au changement, à l’apprentissage de la vraie civilisation. Le but est que nous puissions déclarer : je savais et j’ai fait ce qui était en mon pouvoir. Matthieu ne veut pas catégoriser mais appeler. Entendre l’appel et y répondre, c’est la spiritualité matthéenne, centrée sur les petits. Pour Matthieu, se centrer sur les petits, c’est se centrer sur le Christ. C’est assez différent de toutes les spiritualités et méditations autocentrées de tous ordres qui font florès aujourd’hui. « Tu veux être un spirituel, dit Mathieu ? Alors centre-toi sur les petits, les faibles, les affamés et les prisonniers et tu trouveras le Christ « .
Vous vous rappelez certainement du début du texte, de cet immense troupeau, en fait représentant toute l’humanité, toutes les nations. Si l’amour de Dieu est offert à tous, certains seulement choisissent la pratique de l’amour des petits. C’est eux qui vont rencontrer le Christ. Car il ne réside pas dans un ciel qui reste désespérément vide, mais bien dans la personne du petit, du faible.
Quand t’avons-nous vu, Seigneur ?
En vérité, en vérité je vous le dis : chaque fois que vous aurez fait du bien à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’aurez fait.
Amen !