Toute la loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Mais si vous vous mordez, si vous vous dévorez les uns les autres, prenez garde de ne pas être détruits les uns par les autres.
Je dis plutôt : marchez par l’Esprit, et vous n’accomplirez jamais ce que la chair désire. Car la chair a des désirs contraires à l’Esprit, et l’Esprit en a de contraires à la chair ; ils sont opposés l’un à l’autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voudriez.
Mais si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes pas sous la loi. Or les œuvres de la chair sont manifestes : inconduite sexuelle, impureté, débauche, idolâtrie, sorcellerie, hostilités, disputes, passions jalouses, fureurs, ambitions personnelles, divisions, dissensions, envie, beuveries, orgies et autres choses semblables. Je vous préviens, comme je l’ai déjà fait : ceux qui pratiquent de telles choses n’hériteront pas le royaume de Dieu.
Quant au fruit de l’Esprit, c’est : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi ; aucune loi n’est contre de telles choses.
Mais ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs. Si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi par l’Esprit. Ne devenons pas vaniteux ; cessons de nous provoquer les uns les autres, de nous porter envie les uns aux autres.
Galates 5,14-26
« Marchez par l’Esprit, et vous n’accomplirez jamais ce que la chair désire » (Galates 5,16)
Ce texte, comme d’autres dans la Bible d’ailleurs, a entraîné une dichotomie en l’être humain : l’Esprit, c’est bien ; la chair, c’est mal. Pour couronner le tout, on a souvent laissé entendre que le terme « chair », désignait le domaine de la sexualité, et que lorsque Paul parle de ce qui est charnel il ferait allusion à ce qui est viandeux. Donc, dans l’esprit de beaucoup de gens, la sexualité est considérée comme contraire à l’Esprit ; si quelqu’un veut développer sa spiritualité, il doit donc renoncer à la sexualité, exception faite d’une sexualité vécue à l’intérieur du mariage, et encore. Nos frères catholiques ont même réduit l’autorisation de la sexualité au domaine de la procréation, interdisant par là le recours à la contraception ; par ailleurs, le christianisme a valorisé depuis longtemps le célibat des prêtres et l’abstinence sexuelle des moines et moniales, sur la base de ce texte entre autres.
Qu’en est-il ? Est-ce que la Bible est vraiment castratrice, comme on peut en avoir l’impression ? Je ne le crois pas ! A mon avis, cette interprétation du terme « sarx », traduit par « chair » en français, a besoin d’être déconstruite et la compréhension de ce terme revisitée. En effet, la Bible ne considère jamais la chair comme intrinsèquement mauvaise, bien au contraire. Notre chair a été créée par Dieu, la chair a été assumée par le Fils de Dieu, la chair est transfigurée par l’Esprit de Dieu et c’est pour cela que le croyant peut dire « Je crois à la résurrection de la chair ». Seul l’apôtre Paul utilise ce terme pour désigner non une nature mauvaise, mais la condition pécheresse de l’humain. C’est la raison pour laquelle ce terme cache une ambiguïté que je vous invite à déceler.
Paul a la préoccupation d’aider les nouveaux croyants d’origine juive à sortir de la croyance selon laquelle seule une obéissance à la Torah protégerait des méfaits du péché. C’est à la liberté que nous sommes appelés en tant que chrétiens, cherche-t-il à leur faire comprendre, une liberté liée au fait que le salut nous est donné par grâce, sans que nous ayons besoin de le mériter par nos bonnes actions. Mais bien sûr que nous pourrions abuser de cette liberté et en faire un oreiller de paresse. Ce serait le cas si nous décidions de vivre sans Dieu, en faisant abstraction de lui. En effet, le salut offert gratuitement pourrait être une solution de facilité, qui nous éviterait de travailler sur soi.
Paul insiste : si nous vivons sans Dieu, nous n’accomplissons pas les œuvres de l’Esprit. Ce n’est qu’en avançant dans la vie en aspirant à être sensible aux impulsions de l’Esprit de Dieu que nous n’accomplirons pas les œuvres que notre humanité dépourvue de la présence de Dieu nous amènerait à faire : nous pouvons penser là à tout ce qui rabaisse notre prochain, l’humilie, lui fait du tort, cherche à le priver de sa liberté. C’est ce qui arrive lors d’un viol par exemple, ou lorsque quelqu’un cherche à avoir la mainmise sur l’autre, à le dominer, le priver de sa liberté et de sa dignité.
Paul évoque toute une liste de situations ambiguës. Le libertinage par exemple, qui est probablement condamné si l’autre n’est pas respecté et qu’il est traité comme simple objet de jouissance ; il en est de même pour les beuveries où l’alcool nous fait perdre la capacité d’être dans le respect et la bienveillance envers l’autre. Ou encore le fait d’envier l’autre, de le jalouser est également montré du doigt, car lié à une focalisation excessive sur soi, au lieu de pouvoir se réjouir pour l’autre et ainsi l’élever.
« Ne faites rien par esprit de rivalité ou par désir inutile de briller, mais, avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous-mêmes ». (Philippiens 2,3) C’est une autre manière par laquelle Paul exprime ce qu’il essaie de nous dire dans notre texte. Tout ce qui n’est pas empreint d’un amour désintéressé est de l’ordre de la chair. Vous le voyez, la sexualité n’est pas visée en soi, mais elle peut l’être si elle n’est pas empreinte d’un amour vrai, qui élève et aspire à l’épanouissement de l’autre comme de soi.
Paul nous invite à marcher par l’Esprit, afin que tous les domaines de nos vies en soient transformés de l’intérieur. Ainsi donc, notre rapport à la sexualité peut être métamorphosé afin que le corps soit tout entier porteur d’un message d’amour, d’altruisme, de générosité, de joie et de paix. Notre rapport à l’argent peut lui aussi être transformé, afin que chaque usage que nous en faisons soit vécu avec une conscience de l’autre, de ses besoins, comme une manière de bénir la personne à qui nous donnons de l’argent, que ce soit lorsque nous payons nos impôts ou que nous achetons de la nourriture ou des vêtements, à chaque fois nous soutenons quelqu’un et ça peut être une joie, un acte de générosité. Mais cela peut aussi nous amener à des choix différents, liés à l’envie de soutenir certaines personnes plus que d’autres, les petits agriculteurs plus que les grandes chaînes agro-alimentaires par exemple, ou les petits commerçants du Sud plus que les multimilliardaires de l’Europe occidentale.
Mais ce n’est pas à moi de définir ce que « marcher par l’Esprit » va susciter en chacun.e de vous, sans quoi nous retombons dans les œuvres de la chair, c’est à dire des lois, des règles, qui nous donnent bonne conscience mais qui nous évitent de nous mettre à l’écoute de Dieu ; car c’est de cette écoute que de nouvelles impulsions peuvent surgir en vous. Il y a là une liberté, une flexibilité qui est totalement à l’opposé de l’obéissance à une loi.
Ainsi donc, lorsque Paul dit qu’en marchant par l’Esprit, nous n’accomplirons plus ce que la chair désire, il laisse entendre que tout ce que nous faisons est empreint d’une dimension spirituelle. Tout ce que nous vivons, nous sommes appelés à le vivre avec Dieu, dans une communion profonde avec lui.
Soyons pour cela très attentifs à l’état d’esprit dans lequel Paul nous invite à vivre : ce n’est pas par nos efforts personnels que ces œuvres de l’Esprit s’accomplissent en nous. Ce serait prendre les choses par le mauvais bout. C’est en croyant en Dieu, en lui demandant de venir habiter en nous et de rayonner au travers de nous que nous pouvons avoir la joie de percevoir des fruits de l’Esprit jaillir de nous :
- L’amour tout d’abord, car il résume tous les autres. Non en tant que sentiment, mais en tant qu’acte : « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jean 15,13).
- La foi enfin, dans le fait de s’abandonner à Dieu et de renoncer à tout porter, pour notre bien comme pour celui d’autrui. Oui, la foi, c’est faire confiance à Dieu que ce que nous n’arrivons pas à gérer, ce qui nous dépasse, lui-même peut en prendre soin mystérieusement. La foi nous enlève la pression de devoir être encore meilleur. La foi nous aide à nous ouvrir à accueillir pour nous-mêmes l’amour de Dieu, sa grâce, son pardon pour nos failles, nos erreurs, nos échecs. Même ces derniers peuvent être vécu spirituellement.
« Marchez par l’Esprit, et vous n’accomplirez jamais ce que la chair désire ». Oui, nous l’avons vu, lorsque nous marchons avec Dieu, tout ce qui en nous est charnel, empreint d’égoïsme et d’un désir d’accaparement, une soif insatiable de posséder l’autre, une boulimie du plaisir au lieu d’une soif d’aimer vraiment, authentiquement, peut être transformé. Il suffit que nous laissions Dieu agir en nous, qu’il transforme notre cœur, notre rapport à l’autre et à nous-même. Ce texte de Paul nous invite à faire le pas de nous abandonner à Dieu, afin que son œuvre s’accomplisse en nous et au travers de nous.
Avez-vous envie de marcher par l’Esprit ? Si c’est le cas, je vous invite à faire cette prière intérieure : « Viens, Saint-Esprit, viens habiter en moi, et aide-moi à marcher par ton Esprit».
Amen