Lors de la grève des femmes de 2019, une cinquantaine de femmes bénévoles, diacres ou pasteurs demandaient davantage d’équité dans l’Eglise, l’application de l’écriture épicène – cette manière d’écrire qui valorise de manière équitable les femmes par rapport aux hommes – ou encore une réflexion théologique sur la représentation de Dieu au-delà du genre. Ces revendications ont donné lieu à des débats parfois houleux dans l’Eglise protestante de Genève.
Ce matin, je vous propose de réfléchir à cette thématique non pour vous convaincre de quoi que ce soit, mais pour vous donner quelques arguments pour réfléchir à cette thématique, afin que vous ayez de quoi discuter pendant le repas de midi, soit que vous soyez en dialogue avec votre mur de cuisine, soit que vous ayez un conjoint ou peut-être votre famille autour de la table.
Alors, je vais vous faire un petit test. Quand je dis « Dieu », quelle image intérieure vous vient ? Celle d’un vieillard, barbu ? Est-ce qu’il est représenté au masculin ? Qui a une image féminine de Dieu ? Ou une image neutre ?
Je pense que, pour la grande majorité d’entre nous, moi comprise, nous avons une image masculine de Dieu, parce que nous parlons toujours de lui en utilisant des pronoms masculins. De plus, lorsque Jésus parle à Dieu, il lui dit « Père ». Mais est-ce que, pour autant, Dieu n’est que masculin ? N’y a-t-il pas aussi du féminin en lui ?
Le Dieu que nous connaissons, que nous célébrons tous les dimanches est celui qui nous accueille, pourvoit à nos besoins quotidiens, nous protège et accompagne notre croissance… Est-ce que ce ne sont pas là des traits féminins ?
Bien sûr que la féminité telle que j’en parle ici est liée à notre culture. On pourrait imaginer qu’ailleurs dans le monde ces éléments soient attribués à l’homme, d’ailleurs les jeunes couples essaient de briser ces schémas qui nous enferment dans un rôle. Mais pour simplifier les choses, je vous propose de rester centrés sur notre culture et sur les rôles attribués traditionnellement et un peu caricaturalement à l’homme et à la femme.
Je vous le disais, Dieu se révèle tour à tour :
- sage-femme, quand il nous donne la vie,
- confectionneuse de vêtements, ou couturière lorsqu’il fabrique pour Adam et Eve des tuniques de peau (Gn3,21),
- ménagère ou lessiveuse, quand il nous lave de tout péché – je plaisante 😉
- protecteur ou plutôt protectrice, quand dans le Psaume 49,16, il est dit :
« Dieu sauvera mon âme du séjour des morts, car Il me prendra sous Sa protection. »
- Dans Esaïe 49, Dieu est dépeint comme une mère qui prend soin de son petit enfant :
« Une femme oublie-t-elle son nourrisson ? N’a-t-elle pas compassion du fils qui est sorti de son ventre ? Quand elle l’oublierait, moi je ne t’oublierais pas. » (Es 49,15)
- Ou toujours dans Esaïe, Dieu se dit être comme une mère qui réconforte:
Il en ira comme d’un homme que sa mère réconforte :
c’est moi qui, ainsi, vous réconforterai,
oui, dans Jérusalem, vous serez réconfortés (Es 66,13)
- Jésus va jusqu’à présenter Dieu sous les traits d’une réunificatrice, une rassembleuse, lorsqu’il se lamente sur Jérusalem :
« Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes ! Mais vous ne l’avez pas voulu. » (Mt 23,37).
- Jésus – qui est Dieu – a lui aussi un rôle nourricier. On pourrait dire que, par lui, Dieu est nourricière :
Jésus prit du pain ; après avoir prononcé la bénédiction,
il le rompit et le donna aux disciples en disant :
Prenez, mangez ; c’est mon corps.
Il prit ensuite une coupe ; après avoir rendu grâce,
il la leur donna en disant : Buvez-en tous. (Mt 26,26)
- Par ailleurs, il faut relever que Jésus ne performe pas la masculinité tel qu’on aurait pu l’attendre de lui dans le monde antique : il a rejeté l’image du messie comme futur roi d’Israël et a refusé d’habiter l’image du mâle qui exercerait la souveraineté de Dieu de manière musclée.
- Pour équilibrer un peu les choses, je vous propose d’écouter le texte d’Esaïe 42 nous présenter Dieu tout d’abord sous des traits de virilité, puis de féminité ; tout d’abord sous les traits d’un homme de guerre, puis sous les traits d’une femme sur le point d’accoucher :
13Le SEIGNEUR, tel un héros, va sortir,
tel un homme de guerre, il réveille son ardeur,
il pousse un cri d’alarme, un grondement
et contre ses ennemis se comporte en héros :14Je suis depuis longtemps resté inactif,
je ne disais rien, je me contenais,
comme femme en travail, je gémis, je suffoque,
et je suis oppressé tout à la fois. (Es 42,13-14)
Pour terminer, j’aimerais encore titiller votre réflexion en apportant un élément d’ordre philologique :
- Au premier chapitre de l’Apocalypse, la vision du ressuscité le décrit ainsi :
«Il est vêtu d’une longue robe et entouré sur les seins d’une ceinture d’or » (Ap 1,13).
S’agit-il d’une indication anatomique pour indiquer à quelle hauteur est placée la ceinture ? Probablement pas seulement. En effet, ce terme peut être traduit par mamelle dans le cas d’un animal, ou sein pour une femme et son évocation fait allusion à la fonction de produire du lait. Il est donc peu probable qu’il s’agisse de seins sur un corps attribué à un homme, mais bien d’une féminisation du corps du ressuscité pour rappeler la fonction nourricière de Dieu.
Voilà quelques éléments qui sont là pour stimuler notre réflexion. Qu’en pensez-vous : Au vu de ces éléments, est-ce que la tendance à avoir une conception masculine de Dieu est vraiment correcte ?
Bien sûr, on ne va pas non plus tomber dans l’autre extrême est dire que Dieu est uniquement féminin !
Dieu est au-delà du genre : il n’est ni homme, ni femme, il est le Tout-Autre. Pour bien rendre cela, nous aurions besoin d’un pronom neutre, mais le français n’en a pas, raison pour laquelle certains aimeraient utiliser le pronom iel, une fusion des pronoms « il » et « elle », mais ça surprend, ça dérange.
C’est pourtant ce qui serait le plus fidèle à ce texte bien connu de la Genèse :
« Dieu créa l’humain à son image ; à l’image de Dieu il le créa. Mâle et femelle il les créa. » (Gn 1,27) ?
Que nous dit ce texte ? Que Dieu ne pouvait pas créer l’humain seulement homme, parce qu’il avait en lui aussi le pôle féminin. Dieu contient donc en lui-même toute la gamme qui va du masculin au féminin et vice-versa. On comprend donc mieux lorsque des personnes nous disent qu’elles ne se sentent ni homme, ni femme, parce qu’en Dieu lui-même, il y a un continuum entre le masculin et le féminin.
Valoriser les aspects féminins de Dieu, sans oublier les aspects masculins bien sûr, c’est aider les personnes qui ont été abusées par des hommes à se sentir proches de Dieu.
Encourager certaines personnes, à s’adresser à Dieu non seulement comme à un père, mais comme à une mère, c’est les aider à trouver dans leur relation avec Dieu des caractéristiques attribuées habituellement à la femme : le fait de consoler, de protéger, de prendre soin de l’enfant que nous sommes.
Loin de vouloir ouvrir une polémique au sein de notre Eglise, j’aimerais développer notre perception de Dieu aux aspects féminins qui sont en lui afin que toutes et tous nous puissions nous sentir rejoints dans notre réalité d’hommes comme de femmes.
Amen