De l’eau jusqu’au cou

Les conditions météorologiques ne nous ont pas permis de célébrer notre culte patriotique dans les verdoyants jardins du Château d’Auvernier. C’est dans le temple de Colombier que nous nous sommes réunis, accompagnés de la fanfare l’Avenir pour vivre cette célébration. En voici les textes.

Bonne lecture!

21 Moïse étendit le bras au-dessus de la mer. Le Seigneur fit alors souffler un fort vent d’est durant toute la nuit pour refouler la mer et la mettre à sec. Les eaux se séparèrent 22 et les Israélites traversèrent la mer à pied sec : de chaque côté d’eux, l’eau formait comme une muraille. 23 Les Égyptiens les poursuivirent ; tous les chevaux du Pharaon, avec chars et cavaliers, pénétrèrent derrière eux dans la mer. 24 Vers la fin de la nuit, le Seigneur, du milieu de la colonne de feu et de fumée, regarda l’armée égyptienne et la désorganisa. 25 Il bloqua les roues des chars, qui n’avancèrent plus que difficilement. Alors les Égyptiens s’écrièrent : « Fuyons loin des Israélites, car le Seigneur combat avec eux contre nous ! » 26 Le Seigneur dit à Moïse : « Étends ton bras au-dessus de la mer, pour faire revenir l’eau sur les chars et les cavaliers égyptiens. » 27 Moïse obéit. Alors, à l’aube, la mer reprit sa place habituelle. Les Égyptiens qui s’enfuyaient se trouvèrent soudain face à l’eau, et le Seigneur les y précipita. 28 L’eau recouvrit tous les chars et les cavaliers des troupes du Pharaon qui avaient poursuivi les Israélites dans la mer. Personne n’échappa. 29 Quant aux Israélites, ils avaient traversé la mer à pied sec, l’eau formant comme une muraille de chaque côté d’eux.

Exode 14,21-29

 

45 Aussitôt après, Jésus fit monter ses disciples dans la barque pour qu’ils passent avant lui de l’autre côté du lac, vers la ville de Bethsaïda, pendant que lui-même renverrait la foule. 46 Après l’avoir congédiée, il s’en alla sur une colline pour prier. 47 Quand le soir fut venu, la barque était au milieu du lac et Jésus était seul à terre. 48 Il vit que ses disciples avaient beaucoup de peine à ramer, parce que le vent soufflait contre eux ; alors, tard dans la nuit, il se dirigea vers eux en marchant sur l’eau, et il allait les dépasser z . 49 Quand ils le virent marcher sur l’eau, ils crurent que c’était un fantôme et poussèrent des cris. 50 En effet, tous le voyaient et étaient terrifiés. Mais aussitôt, il leur parla : « Courage ! leur dit-il. C’est moi ; n’ayez pas peur ! » 51 Puis il monta dans la barque, auprès d’eux, et le vent tomba. Les disciples étaient remplis d’un étonnement extrême, 52 car ils n’avaient pas compris le miracle des pains : leur intelligence était incapable d’en saisir le sens.

Marc 6,45-52

De l’eau jusqu’au cou!

« Seigneur, au secours, j’ai de l’eau jusqu’au cou ! » Ainsi débute le psaume 69. Un cri d’appel à l’aide. Un cri qui résonne tout particulièrement cet été où toute la Suisse est sous l’eau.

Habituellement en été, le lac est un espace de loisirs et de détente. Baignade, voile, paddle et autres sports nautiques, les Neuchâtelois aiment leur lac à la belle saison et vont volontiers passer l’après-midi à la plage. Mais cette année, le lac est sorti de son inaltérable tranquillité, et le ciel se déverse comme un puits sans fonds. L’eau submerge les rives, les champs, les cultures et rend la vie des hommes et des femmes de la terre particulièrement ardue et incertaine.

En quelques semaines à peine, notre rapport à l’eau a changé. Elle représentait l’agréable fraîcheur de l’été, la nécessaire source capable d’étancher la soif, la joie de la nage. Celle que l’on attend quand nos jardins sont secs. Celle qui vient rafraîchir les lourdes journées d’été.

Et soudain, nous percevons quelque chose de l’eau qui menace. Celle dont la force peut s’avérer destructrice, qui ravage tout sur son passage et contre laquelle nous ne pouvons guère faire plus qu’attendre que cela passe et de constater les dégâts. Cette puissance potentiellement mortelle de l’eau est très présente dans les textes de la Bible.

Pas un peuple de l’eau

Le peuple de la Bible n’est fondamentalement pas un peuple de l’eau. Contrairement à leurs voisins Phéniciens et Grecs, les Israélites n’ont jamais développé de commerce ou de puissance militaire par voie d’eau.

On vit de la pêche dans le lac de Galilée mais à part cela, le rapport à l’eau est distant. En hébreu, le terme yam désigne à la fois la mer et le lac. Parfois même le fleuve. Une étendue d’eau est une étendue d’eau. Alors que l’on sait par exemple que les Inuit ont des dizaines de termes pour désigner la neige. Pour le peuple d’Israël, de l’eau c’est de l’eau.

Pour celles et ceux d’entre vous qui aiment se plonger de temps en temps ou régulièrement dans la lecture de la Bible, je vous invite à être attentifs à cela: lorsqu’il est question de mer, de lac ou de rivière, c’est qu’il va se passer quelque chose d’important. Une mise en danger, un passage, un miracle, un salut,… une épreuve.

Une menace contenue grâce à Dieu

Pour les Hébreux, la mer est une menace. Habitée de monstres terribles, on évoque le Léviathan et d’autres bêtes mythologiques. Sa puissance détruit et la force humaine ne peut rien face à elle. On compte donc bien s’en tenir à distance.

Le poème de la Création dans la Genèse reflète cette perception de l’eau. Du tohu bohu originel, Dieu sépare les eaux du haut des eaux du bas. Créant un espace pour la vie. Dans les représentations de l’époque, le monde était un grand plateau posé sur des colonnes. Au-dessous, les eaux menaçantes, maintenues par Dieu pour qu’émerge la terre.

Au-dessus, les eaux du haut repoussées et tenues à l’écart par la voûte céleste, une sorte de demi-sphère créant un espace dans lequel la vie est possible. Il faut donc réaliser que dans cette compréhension cosmologique du monde, l’humanité, la nature, les animaux et tout ce qui se développe sur la terre ferme doit sa vie à la puissance inouïe d’un Dieu créateur qui tient à distance l’eau et sa force de destruction.

De même qu’il la maintiendra à distance pour ménager au peuple un chemin sec entre deux murailles et qu’il laissera la puissance destructrice de la mer anéantir l’armée égyptienne lorsqu’elle se refermera sur elle.

Qui aujourd’hui, comprend sa propre existence et la possibilité de la vie sur terre comme un miracle qui ne tient qu’à la force de Dieu de préserver des conditions qui rendent la vie possible ?

Saisissons-nous encore la chance qui est la nôtre d’avoir une place, un espace pour vivre ? Les représentations cosmologiques modernes ont bien sûr fait évoluer nos perceptions du monde et de l’univers. Et pourtant, nous restons un petit grain de sable dans un univers dont la grandeur et la puissance nous dépassent.

Notre existence tient du miracle.

Une sortie risquée sur le lac

Dans le monde de la Bible, l’eau tient en respect. Même les pécheurs que sont les disciples savent qu’une sortie sur le lac n’est jamais anodine. Le lac de Galilée est le théâtre de plusieurs récits marquants. Il faut se représenter ce lac.

Il est un peu plus petit en superficie que notre lac de Neuchâtel, mais sa forme est bien plus régulière. Il est plus large et bien moins long. D’une rive à l’autre, il y a donc presque le double de distance qu’entre Auvernier et Portalban. Ce n’est pas un grand lac, mais le Jourdain qui le traverse rend son eau riche en poissons. Il est connu pour ses tempêtes violentes dues aux différences importantes de température avec les collines qui l’entourent.

C’est la fin de la journée. Jésus et ses disciples se trouvent sur les rives du lac. Ils étaient venus là plus tôt dans la journée pour être au calme. Se retirer un moment de l’agitation pour se reposer. Comme nous irions passer l’après-midi sur les plages de Cudrefin ou d’Yvonand. Mais leurs plans avaient été déjoués, Jésus avait été reconnu et petit à petit les gens s’étaient amassés autour d’eux.

Une journée éprouvante, d’autant plus fatigante que le projet initial était de prendre un peu de repos. Et voilà que Jésus entouré de ses disciples se retrouve à enseigner à une foule immense avec pas grand-chose dans l’estomac. A peine 5 pains et deux petits poissons partagés avec 5000 personnes.

C’est au bout de cette journée là que Jésus dit à ses disciples de prendre le bateau sans lui, de retourner de l’autre côté du lac pendant que lui renverrait la foule et se retirerait un moment sur la montagne pour prier. La montagne, comme le désert, et un lieu de retrait. Un endroit de rencontre avec Dieu et avec soi. Le monde de la Bible est celui du désert et de la montagne, pas de la mer.

Encore un petit truc pour vous lecteurs et lectrices de la Bible. Votre radar doit clignoter lorsqu’un récit vous entraîne sur une montagne. Il va se passer quelque chose, en général une révélation de Dieu. Pensons à Moïse, au prophète Élie, à Jésus au mont des Oliviers pour ne citer que ces situations…

Jésus envoie ses disciples sur l’eau, lieu de tous les dangers, et lui se retire sur la montagne, endroit privilégié de contact étroit avec Dieu. On peut se demander par quel moyen Jésus avait l’intention de les rejoindre, si les disciples avaient pris la barque avec laquelle ils étaient arrivés. Le texte n’en dit rien et ne fait état d’aucun dialogue avec eux. Jésus dit et ils s’exécutent.

Je ne sais pas combien de temps il faut pour traverser le lac, mais le trajet aller ne semble avoir posé aucun problème. Et même si les disciples ne rament pas au même rythme que les champions olympiques d’aviron, il est tout de même étonnant qu’ils y passent toute la nuit.

Ramer contre les vents contraires

Le vent est contraire dit le texte. Cette fois, pas de tempête mais un vent contraire. Les éléments sont contre eux et ils luttent. Pourquoi ne font-ils pas marche arrière ? Pourquoi ne se laissent-ils pas pousser jusque sur la rive en se disant qu’il traverseront le lendemain quand le vent sera calmé ? Ils persévèrent. Ils luttent. Malgré la fatigue, malgré l’obscurité qui règne désormais autour d’eux. Malgré le froid qui s’est installé en eux. Malgré la peur de cette mer que la nuit et le vent rendent si menaçante, ils continuent. Ils rament.

Le texte ne fait jamais état de leurs motivations. L’évangéliste Marc ne leur donne pas la parole. C’est tout à fait typique de cet évangéliste qui n’ajoute pratiquement jamais d’élément de commentaire aux récits. Marc est souvent très dur avec les disciples qui ne parviennent jamais à comprendre vraiment qui est le Christ et la portée de ce qui se passe sous leurs yeux. Qui leur jettera la pierre ? Serions-nous capables nous de prétendre saisir vraiment ?

C’est le premier verset qui nous donne un indice sur leur motivation à poursuivre la traversée. S’ils sont dans ce bateau de nuit sur ce lac, c’est parce que c’est Jésus lui-même qui les y a envoyés. Traverser et le précéder sur l’autre rive, voilà ce que le maître leur a demandé. Leur persévérance, leur ténacité, leur énergie malgré la fatigue et la peur, ils la puisent dans la conviction que ce qu’ils font est juste et qu’ils accomplissent ainsi ce à quoi ils sont appelés.

Il y a bien des fois où les conditions sont contre nous. Où les vents sont contraires et où selon toute logique il vaudrait mieux abandonner. Il y a des moments où le sort semble s’acharner et quand on a enfin vu le bout d’une épreuve, une autre nous tombe dessus.

Mais quand au fond de soi il y a ce moteur, cette conviction que c’est là que nous devons aller, que ce vers quoi nous ramons est juste, alors les forces sont là.

L’apparition étrange de Jésus au milieu du lac à quelques heures du lever du jour, foulant au pied la mer et toutes les puissances de mort qu’elle représente pose l’autorité divine sur les éléments. Comme le Dieu créateur, le Christ domine l’eau.

N’ayez crainte

A l’effroi et aux cris des disciples ils oppose une parole : « C’est moi, n’ayez pas peur. » Il est donc possible de ne pas avoir peur même quand tout est obscur, menaçant et que tout semble perdu.

Notre rapport à l’eau a changé. Et si nous percevons peut-être mieux aujourd’hui sa dimension menaçante, nous nous souvenons aussi qu’elle permet la vie, qu’elle fait pousser les cultures, qu’elle rend si belle les paysages lorsqu’elle serpente dans la montagne, qu’elle donne la joie de la baignade et qu’elle témoigne de l’amour de Dieu par le baptême.

Nous avons certainement à apprendre de l’attitude des disciples, ancrés dans une forme de fatalité confiante. Il arrive que leur peur mette en péril leur espérance, mais tout n’est pas perdu et ils continuent à œuvrer dans la direction qui savent être la leur, il persistent à ramer.

Vivre et espérer contre, avec et malgré les événement.
Vivre et espérer contre, avec et malgré la fatalité.
Vivre et espérer contre, avec et malgré la réalité.
Telle est notre vocation.

Béni soit Dieu pour le miracle de la vie ! Amen

Bénédiction

Va et rame!
Avance avec confiance.
Même quand les vents sont contraires.
Telle est ta route.
Dieu renouvelle tes forces.
L’avenir est devant toi.

Que Dieu vous bénisse et qu’il vous garde dans l’espérance!