Que fêtons-nous à l’Ascension ?

Peut-être aviez-vous lu, comme moi, dans le journal « Réformés », l’article intitulé «L’Ascension et la Pentecôte, des ponts entre présence et absence». Joël Burri, avait interviewé Diane Friedli, ma collègue ici à la BARC, ainsi que notre collègue vaudois Armin Kressmann. Ses paroles m’ont interrogée et je me suis demandée si je pouvais être d’accord avec lui. Voici ce qu’il disait : «Pour moi l’Ascension c’est l’exact pendant de Noël. Autant Noël marque la proximité de Dieu autant l’Ascension nous appelle à vivre dans l’absence. Les apôtres doivent entrer dans le projet d’un Dieu qui leur dit lâchez-moi les baskets!»
Qu’en pensez-vous ?

Si nous lisons Actes 1,9 dans la version en français courant, voici ce que nous trouvons :

« Jésus fut élevé vers le ciel pendant que tous le regardaient ; puis une nuée le cacha à leurs yeux. » Nous imaginons en effet Jésus monter au ciel à l’image du tableau de Dürer : on y voit Jésus qui s’élève au milieu de ses disciples ; il monte littéralement au ciel, comme aspiré par une force magique et on ne voit plus que ses pieds. Si, ensuite, la nuée le cache, on peut en effet imaginer que Jésus est absent, étant ailleurs. C’est sur la base de cette compréhension que l’ancien chef de gouvernement de l’Union soviétique Nikita Khrouchtchev fonda sa propagande antireligieuse. Il tourna cette croyance en dérision en affirmant ceci : l’astronaute « Youri Gagarine a été dans l’espace, mais il n’y a vu aucun dieu ». Certes, Jésus ne s’est pas assis sur un nuage !

La Nouvelle Bible Second nous aide par contre à nous détacher d’un tableau trop caricatural en nous permettant d’accéder à une vision plus abstraite :

« il fut élevé et une nuée le déroba à leurs yeux »

Il en est de même dans la TOB  : « sous leurs yeux, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs regards ».

Ces deux traductions relèvent que le mystère ne se situe pas au niveau de Jésus qui s’absenterait, mais au niveau du regard des disciples. L’événement le rend invisible à leurs yeux. Ainsi donc, Jésus ne semble pas vraiment s’absenter ; il est là, mais ce sont leurs yeux qui ne peuvent plus le voir.

En fait, depuis le moment de sa mort, Jésus nous fait découvrir qu’il peut exister sous différentes formes. Si nous essayons de définir la nature de son existence lors de ces différentes étapes, nous sommes vite dépassés. Souvenez-vous, à la fin de l’Évangile de Luc, le ressuscité a pris soin de leur montrer qu’il n’est pas un esprit, puisqu’il est là en chair et en os et qu’il mange sous leurs yeux un morceau de poisson grillé. Le ressuscité n’est donc pas un fantôme, bien qu’il puisse apparaître à ses disciples alors que toutes les portes sont fermées à clef; il se laisse toucher par Thomas, puis, pour achever de nous troubler, il disparaît sous les yeux de ses disciples.

Vous remarquerez l’usage d’un terme qui nous renvoie à la sortie d’Egypte, lorsque Dieu conduisait son peuple sous la forme d’une colonne de feu, la nuit, et d’une colonne de nuée, le jour (Exode 13,21). La Bible nous parle de nuée lorsque la présence du Seigneur devient perceptible, lorsque la gloire de Dieu fait mystérieusement irruption dans le temple de Dieu, là où les humains le cherchent, aspirent à sa présence, viennent pour rencontrer Dieu (2 Chroniques 5,13, Ezéchiel 12,4). La nuée n’a donc rien de comparable à un nuage ! Le nuage est un phénomène météorologique, alors que la nuée est un cadeau de Dieu, qui rend sa présence perceptible aux humains. Ces événements sont rares, ils sont des moments de grâce infinie dans l’existence. Peut-être avez-vous vous-même vécu de ces moments où vous vous dites que, vraiment, Dieu était présent. Ces événements vous marquent et fondent votre foi, ils l’enracinent de telle sorte que l’on ne peut jamais plus douter de la présence de Dieu.

Un peu comme les disciples qui ont sous leurs yeux le Christ ressuscité, puis la nuée, autre manifestation de la présence de Dieu, puis plus rien. Ils restent immobiles, fascinés, le nez en l’air, conscients que Celui qu’ils aiment est toujours présent, même s’ils ne le voient plus. Peut-être auraient-ils voulu rester là, à le contempler, invisiblement, si ces deux anges n’étaient pas venus les sortir de leur ravissement. Pourtant, leur joie sans doute demeure. Ils retournent à Jérusalem pour y vivre un fort attachement à la prière, comme moyen de prolonger ce ravissement, cette contemplation du Christ entré à nouveau dans le monde invisible de la présence de Dieu.

Jésus est passé de l’autre côté du voile qui nous sépare du monde divin. C’est probablement là que se trouvent nos défunts, dans un monde qui nous échappe mais qui doit être extraordinaire.

Je ne dirais donc pas que l’Ascension est la fête de l’absence. Non, au contraire, c’est la fête d’une proximité encore plus grande, puisque, dès ce moment, Jésus n’est plus à Jérusalem ou en Galilée, il est à Colombier, à Bôle, comme à Helsinki.

Si, en entrant dans le monde invisible de Dieu, Jésus semble s’absenter, il exerce en fait les croyants à découvrir sa présence même lorsque rien ne semble la laisser croire. C’est peut-être pour les préparer à découvrir la présence de Dieu d’une manière qui sera encore différente lors de la Pentecôte. Que de surprises ! Jésus n’a pas fini de nous démontrer qu’il peut être présent de multiples façons. A Elie, il avait déjà révélé que Dieu pouvait être présent dans un souffle, une sorte de murmure doux et léger (1 Rois 19,13).

Le récit de l’Ascension est raconté deux fois : une fois à la fin de l’Evangile de Luc, comme pour clore l’Evangile, et une fois au début du livre des Actes comme pour initier une nouvelle manière de vivre notre relation à Dieu. L’événement de l’Ascension est un événement charnière entre le temps de la présence de Dieu sous la forme de Jésus et le temps de la présence de Dieu sous des formes multiples. Nous assistons à une sorte de démultiplication de la présence de Dieu : si Jésus était présent uniquement en un lieu, à partir de l’Ascension, sa présence se rend perceptible en tous lieux et annonce la Pentecôte.

L’Ascension marque donc la fin des apparitions de Jésus sous forme humaine et l’ouverture à d’autres manières pour Dieu d’être présent parmi les hommes. Vous remarquerez que lorsque Luc parle de l’expérience de Saul de Tarse, qui le retourna comme une crêpe, Luc l’évoque comme étant une vision et non une apparition du ressuscité, légère nuance ! Mais lorsque Paul en parle lui-même de sa conversion, dans l’épitre aux Corinthiens, il ne fait pas de différence : pour lui, le ressuscité lui est apparu comme aux apôtres (1 Corinthiens 15,8).

Fêter l’Ascension par des jours chômés, c’est célébrer le fait que le ressuscité continue de se révéler à nous de multiples manières. Aucun de nous n’est trop insignifiant pour expérimenter cette proximité entre le monde divin et le monde humain. Les moments de grâce arrivent, rarement lorsqu’on les demande, la plupart du temps lorsqu’on ne s’y attend pas.

Les deux anges l’affirment : Jésus reviendra, peut-être de multiples fois, de la même façon qu’il a disparu de leur regard. Dès lors, ouvrons non seulement l’œil, mais tous nos sens. Soyons éveillés afin que nous puissions distinguer sa présence de multiples manières dans nos vies.

Ainsi donc, l’Ascension n’est pas la fête de l’absence, mais de la proximité, puisque Jésus n’est plus à Jérusalem ou en Galilée, il est à Colombier, à Bôle, à Helsinki, comme à Rochefort.

Amen

Image par Luisella Planeta Leoni de Pixabay