De la Réforme au référendum

Parole à Jean-Jacques Beljean, ancien président du Conseil synodal et ancien pasteur à La BARC, sur un sujet d’actualité: le dépôt d’un référendum sur la Loi concernant la reconnaissance d’intérêt public de nouvelles Communautés religieuses.

 

La messe au Château, le culte à la collégiale… c’est avec cette boutade du prof. Gottfried Hammann qu’on peut identifier l’origine lointaine de la question Etat-Eglises en Pays de Neuchâtel. Le dépôt d’un référendum sur la Loi concernant la reconnaissance d’intérêt public de nouvelles Communautés religieuses n’est que la plus récente des péripéties qui ont émaillé ces relations au cours du temps.

La Réforme de Farel et ses suites

La Réforme proposée par Farel fut adoptée par les bourgeois de Neuchâtel, le 4 novembre 1530. Elle le fut, signe d’un clivage déjà présent à l’époque, à 18 voix de majorité, Le Landeron et Cressier restant par ailleurs catholiques romains. Mais Berne était pour… ce qui pesa fort dans la balance. Pour l’époque, en Europe, Neuchâtel constituait une exception au fameux principe du cujus regio, ejus religio, la même religion pour le prince et ses sujets. Neuchâtel comportait un suzerain catholique, un peuple protestant à la notable exception de deux villages proches de Soleure. La situation se poursuivit sans grand changement sous le régime prussien dont les rois se désintéressaient de la question de la religion de leurs sujets neuchâtelois. Si l’Église fut puissante dans le canton en termes de doctrine et de mœurs, ce fut sans l’appui direct de l’État.

Une révolution paradoxale

Peu avant la révolution de 1848 les nouvelles idées avaient fait leur chemin. La Constitution révolutionnaire du 30 avril 1848 stipulait la liberté de conscience et de culte. Pour la garantir, l’État nationalisa l’Église réformée, confisqua ses biens et assura le salaire des pasteurs pour assurer leur indépendance théologique. L’Église devient un service de l’État. L’enseignement religieux fut donné à l’école soit par les instituteurs soit par les pasteurs. Le Traité de Paris de 1857 stipula, concernant la question neuchâteloise, que les biens nationalisés devaient garder un usage ecclésiastique. Peu à peu, le système d’Église d’État, qui convenait aux radicaux, fut mis en question par les partisans de la tradition qui réclamaient un retour à une Église plus confessante. En 1873 la tension entre réformés historiques et réformés radicaux déboucha sur un schisme : l’Église réformée indépendante se séparait de l’Église nationale pour revenir à la tradition.

Vers la réconciliation et l’unité

Des contacts amicaux et de service prévalurent néanmoins tout le temps du schisme, avec de vrais rapprochements. Sous l’influence du futur conseiller fédéral Max Petitpierre et des pasteurs Marc Du Pasquier et Henri Parel l’Église se réunifie, avec un seul synode et une seule Faculté de théologie, qui sera rattachée ensuite à l’État. C’est ce qu’on appelle « la fusion ». Les « natios » et les « indés » sont réunis en une Église réformée évangélique du canton de Neuchâtel, à la fois indépendante de l’État mais reconnue d’intérêt public et collaborant avec lui. Un statut relativement identique sera conféré à l’Église catholique romaine et à l’Église catholique chrétienne. Le conflit entre l’État et l’Église réformée est clos. Des concordats règlent les points pratiques comme l’enseignement religieux dans les locaux scolaires, la jouissance des cures et la mise à disposition des ecclésiastiques pour les cérémonies publiques, entre autres. La Constitution prévoit un subside à partager entre Églises en reconnaissance du rôle d’intérêt public et la contribution ecclésiastique volontaire des membres des Églises est perçue gratuitement par l’État.

De l’an 2000 à nos jours

À l’occasion de la révision de la Constitution neuchâteloise, qui sera adoptée à près de 77 % des voix en 2000, les relations Etat-Eglises sont révisées et légèrement resserrées. Une grande nouveauté : d’autres communautés religieuses pourront, à l’avenir, être également reconnues d’intérêt public, à certaines conditions de fonctionnement. Un concordat unique pour les trois Églises est signé. Il prévoit une adaptation du subside de l’État à la situation contemporaine et maintient le statu quo pour le reste.

Le référendum de 2020 : une question à motivations multiples et peu claires

La loi votée par le Grand Conseil permettant la reconnaissance d’autres communautés religieuses est actuellement l’objet d’un référendum. Le PLR et l’UDC récoltent des signatures chacun de leur côté. Le référendum de l’UDC paraît orienté vers le rejet de l’islam et le principe de tout soumettre au peuple. Les motivations du PLR semblent plurielles, donc peu claires. D’après ce que nous comprenons, certains s’opposent au type de référendum facultatif voulu par la Constitution, qui doit être demandé par 35 députés au moins. Le souhait de préserver les droits populaires est bien sûr louable, mais n’est-ce pas justement le peuple neuchâtelois qui a prévu cette procédure en donnant son accord à la Constitution cantonale de 2000 ? D’autres sont favorables à un référendum obligatoire à chaque reconnaissance de communauté religieuse par le Grand Conseil. D’autres encore ont laissé entendre que l’étape suivante serait le démantèlement des relations formelles État – Églises et communautés religieuses par un projet de changement de la Constitution cantonale, les marginalisant et les confinant au domaine privé. Les signatures récoltées par l’UDC et par le PLR, de natures diverses, vont donc s’additionner pour que le peuple puisse se prononcer contre la loi d’application tout entière, ou en sa faveur.

Comment sera comprise cette votation ? Rappelons qu’il ne s’agit pas de reconnaître des religions au sens général mais des communautés organisées et transparentes ayant fait leurs preuves. Comme une question de procédure ? Comme une question d’étendue des droits populaires ? Comme un vote sur les communautés religieuses ? Ou pire comme un vote sur la religion ? Comme l’a fort bien résumé le professeur Pierre Bühler, dans un courrier à Arcinfo du 25 septembre dernier : « Quelles que soient les distances entre les deux partis, la loi risque de devenir la victime d’une étrange alliance entre l’islamophobie et un laïcisme à outrance… ».

Les effets du refus de la loi

Le plus dommageable dans cette affaire est toutefois que la reconnaissance de nouvelles communautés religieuses, voulue par le peuple neuchâtelois en 2000, est à nouveau retardée de plusieurs années pour une question de procédure ou de motivations peu clarifiées. Certaines communautés attendent déjà depuis plus de dix ans. Est-ce vraiment digne de prolonger encore cette attente ? Est-ce raisonnable de vouloir remettre l’ouvrage sur le métier et de repousser encore la loi d’application de l’article de la Constitution cantonale au-delà de 20 ans après son entrée en vigueur ?

Est-il nécessaire de prendre le risque de refuser une loi qui donne un cadre constitutionnel et légal à des communautés dans le canton et leur demande de répondre aux exigences de respects du droit constitutionnel suisse, de transparence financière, de statut sur les conditions d’admission et d’exclusion des membres, etc. ? Ce statut d’intérêt public comporte certes des droits mais surtout des devoirs permettant à ces communautés de travailler ensemble, au grand jour, avec les pouvoirs publics, la société civile et les Églises reconnues en renforçant ainsi la cohésion sociale du canton.

Un référendum superflu sans pesée des intérêts

L’État a reconnu jusqu’à maintenant d’intérêt public les Églises qui s’engagent dans la société par un partenariat avec lui. Certes, elles sont devenues moins importantes qu’auparavant en ce premier quart du 21e s. Mais le système actuel permet toujours de promouvoir à peu de frais une importante présence des Églises dans le social, par le Centre social et Caritas et de nombreux bénévoles qui s’y engagent, pour ne citer que ces deux institutions. Cela permet aussi un dialogue de l’État avec des partenaires fiables et à travers elles avec d’autres communautés plus marginales. Faut-il vraiment changer d’optique et se priver, à terme, de tous ces engagements ?

Devant les importants défis qui se présentent à notre communauté neuchâteloise dans les domaines économiques, environnementaux, sociaux et financiers ne vaudrait-il pas mieux travailler de concert que nous diviser ?

Colombier, octobre 2020
Jean-Jacques Beljean

 

Sources : Gottfried Hammann et Michèle Robert, De Guillaume Farel à nos jours, Attinger, Hauterive, 1993 ; Jean-Jacques Beljean, Distance et proximité : une histoire de concordat Etat – Eglises en Pays de Neuchâtel, Annuaire suisse de Droit ecclésial, 2001 vo. 6 ; Journal Le Temps du 25.9.2020 ; Protest’Info du 8.10.20.