Familles et sexualités non conventionnelles dans le monde de la Bible : qu’en tirer pour nous aujourd’hui ?

Problèmes familiaux dès le départ.

Il n’est pas trop difficile de se rendre compte que, dans la Genèse, il y a souvent des déraillements dans le fonctionnement des familles. Rappelons-nous :

  1. Abraham et Sarah programment la naissance de l’enfant qui tardait à venir par l’intermédiaire d’une sorte de mère porteuse, Agar ;
  2. toutes sortes de rivalités en découlent tant à l’échelon des enfants (Israël – Isaac) que des femmes (Sarah – Agar) ;
  3. l’affection privilégiée tant d’Isaac que de Rébecca pour l’un ou l’autre de leurs fils ;
  4. la duperie que Rébecca fomente avec Jacob ;
  5. la lourde question du droit d’aînesse qui plombe les relations entre Ésaü et Jacob ;
  6. la ruse de Laban qui octroie à Jacob une femme qu’il n’avait pas choisie ;
  7. l’affaire des servantes dans le match que se livrent Léa et Rachel ;
  8. l’angoisse de Jacob lors de la rencontre avec son frère vingt ans plus tard ;
  9. le dévoilement des songes par Joseph, qui attise contre lui les jalousies de ses frères.

La « Sainte » famille

Il est peut-être moins courant de constater certains dysfonctionnements dans la famille de Jésus.

  1. Joseph, informé de la grossesse de celle qui lui était promise, se creuse la tête pour trouver une issue honorable (selon le témoignage de Matthieu).
  2. Marie, avertie par l’ange Gabriel, se déclare prête à assumer la situation, sans s’inquiéter un seul instant de communiquer avec son futur mari (selon le témoignage de Luc).
  3. Joseph, qui est sans conteste un bon père, est un personnage muet dans les récits de l’enfance de Jésus ; on ne lui donne jamais la parole ( !).
  4. Quand Jésus a douze ans, sa mère lui dit : « Ton père et moi te cherchions » ; elle se voit aussitôt reprise par Jésus, qui précise que sa mission est d’être « chez son Père ». Sans disqualifier Joseph, cette parole de Jésus nous présente une vision différente de la famille.
  5. L’affaire s’aggrave quand « la mère et les frères de Jésus » cherchent à le ramener à la raison. Celui-ci réagit fortement en redéfinissant une parenté qui dépasse les liens du sang.
  6. Quoi qu’il en soit, Jésus a dû subir constamment des railleries du fait qu’il était né « sans père », car le mystère planait sur son père biologique.

Devant ces complications familiales en chaîne, les chrétiens pourraient se demander pourquoi à notre époque certaines personnes ont un regard méfiant vis-à-vis de tous les couples non conventionnels : familles monoparentales, familles recomposées, familles où il y a deux papas ou deux mamans…  En d’autres termes, dans la vision protestante, la famille n’a rien de « sacré ».

Et la sexualité ?

Ces réflexions nous poussent, chacun l’aura compris, à envisager maintenant plus directement la question de la sexualité. Dans le Proche-Orient ancien, mais aussi chez les Grecs et les Romains, on n’avait pas la même conception de la monogamie que nous avons actuellement. La polygamie était fréquente et le mariage hétérosexuel n’excluait pas des relations homosexuelles avec des hommes de classe inférieure, en particulier avec son ou ses esclaves. On pourrait avoir un écho de ces pratiques dans le récit du centurion romain qui implore Jésus de guérir son esclave. Le texte biblique reste muet sur la nature de cette relation; toutefois, le centurion semble craindre que Jésus entre chez lui et se mette ainsi en porte-à-faux avec les lois juives. Or, Jésus n’a aucune hésitation à entrer chez lui pour guérir son serviteur. Autrement dit, Jésus n’est pas venu pour juger le centurion. Son rôle n’est pas de donner des critères de « bonne conduite » mais de les aider à découvrir le meilleur en eux-mêmes et la force d’amour qui peut les animer.

Dans ce cadre-là, on peut tout à fait imaginer un Jésus qui ne s’intéresse pas à catégoriser les gens qu’il rencontre (homo- ou hétérosexuels). Il invite à sortir des catégories du pur et de l’impur pour découvrir le potentiel d’amour qui réside en chacun.

Jésus valorise les eunuques alors qu’ils étaient jusque-là interdits au temple, considérés comme impurs. Or, parmi ces eunuques figuraient, selon toute probabilité, des hommes qui choisissaient de s’abstenir de la sexualité pour se consacrer à Dieu, mais aussi des « homosensibles » qui choisissaient ce type de vie pour se soustraire aux relations sexuelles avec une femme qui, sans cela, faisait partie du devoir de tout homme. Si l’homosexualité avait fait problème pour Jésus, il aurait, sans aucun doute, saisi l’opportunité d’une mise en garde. À nouveau, il ne le fait pas, car son objectif est différent. Il ne vient pas se positionner sur un plan moral, mais tracer un chemin pour que tout humain puisse développer sa relation avec Dieu.

Un appel à l’amour

L’appel de Jésus est un appel à l’amour : aimer Dieu signifie lui témoigner de la reconnaissance et se sentir en totale confiance avec lui, ce qui ne peut pas ne pas rejaillir sur notre prochain, avec les nuances qui s’imposent, car la confiance peut être cruellement déçue. Il en découle, pour un couple, l’appel à cultiver là aussi une vie de re-connaissance et de confiance.  Ne nous trompons pas de cible : ce qui est proposé comme parcours de vie, comme cheminement, ne peut en aucun cas se transformer en une obligation morale. Dans notre vécu, il est tout à fait envisageable d’être amené à vivre successivement plusieurs expériences d’amour – le monde étant ce qu’il est – pour autant que l’amour soit vécu dans toute sa profondeur. L’idéal de l’amour, qu’il soit vécu au singulier ou au pluriel, c’est que chacun soit amené à croître en authenticité, autrement dit, à épanouir son potentiel d’amour en le vivant sous le signe de la grâce de Dieu.

Nicole Rochat et Yvan Bourquin