Elim: Claude Fiaux, Pierre Reverchon, Hans Beck, Bénédicte Gritti
Elim partage avec vous aujourd’hui une réflexion plus qu’intéressante sur le sens de Pentecôte de Frédéric Saint Clair, analyste politique, ancien chargé de mission sous Dominique de Villepin à Matignon pour la communication politique (2005-2007). Il est aujourd’hui Consultant Free Lance.
Article paru sur le site Lefigaro.fr en date du 25 mai 2015. Voici ce qu’il écrit au sujet de la Pentecôte:
Qui se rappelle ce que signifie la pentecôte? Contrairement à l’Ascension, le terme n’est pas explicite. On finit donc par l’oublier, puis par l’ignorer. C’est peut-être la raison pour laquelle ce jour férié a été le premier à être sacrifié sur l’autel de l’économie. En France, la charge sociale est trop lourde, il faut donc, pour continuer de financer ce secteur d’entraide en perpétuelle augmentation, rogner sur certains acquis, et, ce jour, férié mais non obligatoirement chômé, fait partie des candidats. Noël, à la signification évidente et au poids culturel imposant, ne saurait jouer un tel rôle. La pentecôte si. Et pourtant, cette journée, qui clôt en quelque sorte la séquence initiée par le Vendredi Saint, revêt une importance capitale, et riche d’enseignements y compris pour un pays laïcisé comme le nôtre.
Petit rappel des faits: Jésus est arrêté et crucifié une veille de Sabbat, un vendredi donc, que nous commémorons désormais en qualifiant ce premier vendredi qui suit la nouvelle lune de printemps de «saint». Il ressuscite au matin du troisième jour (le premier étant celui de la mise en croix), soit, comme le précise l’évangile, «au matin du premier jour de la semaine», un dimanche matin, le dimanche de Pâques. Les quarante jours qui suivent cet évènement si particulier pour les chrétiens, durant lesquels les disciples profiteront comme jamais auparavant de l’enseignement du Christ, nous conduisent au jour de l’élévation de Jésus-Christ au-dessus de toutes conditions matérielles, un jeudi que nous nommons «de l’ascension». L’évangile de Marc précise que la séparation physique n’entraina cependant pas une séparation complète du Christ avec ses disciples, c’est à dire du spirituel et du temporel, car, alors que les disciples «s’en allèrent prêcher partout», «le Seigneur travaillait avec eux». Cette proximité spirituelle conservée se manifestera dix jours plus tard par cet évènement si singulier relaté dans le second chapitre des Actes des apôtres.
Si le chrétien voit dans ce miracle supplémentaire la manifestation de l’universalité du message évangélique, la question se pose pour le citoyen dont la foi est peut-être différente, voire inexistante : Que faire de ce symbole, et donc du jour férié qui y est associé ?
Le jour de la pentecôte, du grec «hêméran tês pentèkostês» signifiant le cinquantième jour, est un écho aux cinquante jours qui séparent, dans le calendrier judaïque, la fête de Pessa’h (Pâque juive) de Shavouot (la fête de la moisson) ; mais au sein du calendrier chrétien, ce jour prend une signification particulière: La promesse du Christ faite aux apôtres: «Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre consolateur, afin qu’il demeure éternellement avec vous, l’Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point ; mais vous, vous le connaissez, car il demeure avec vous, et il sera en vous.» (Jean 14: 16,17) Jésus annonce ainsi la venue du Consolateur, ou Paraclet, de l’Esprit saint. L’intercession, à partir de ce jour-là, n’est plus matérielle, mais spirituelle. Le jour de la Pentecôte, les disciples, réunis à Jérusalem, reçoivent cet esprit saint, et les hommes présents «de toutes les nations», en furent témoins et «chacun les entendait parler dans sa propre langue».
En un siècle qui est peut-être le plus matérialiste que l’humanité ait connu, l’oubli du jour de la Pentecôte est probablement un écho à l’oubli de l’Esprit, ou pire, au déni de l’Esprit.
L’Esprit saint est assez souvent le parent pauvre de la Trinité, car le Père et le Fils occupent une place centrale dans l’imaginaire collectif. Cela est probablement la résultante de la matérialisation du Père dans le fils, et de la propension de l’entendement humain à ne se saisir que de ce qu’il peut voir, toucher et sentir. Et pourtant, de quoi sinon des réalisations de l’esprit, l’humanité peut-elle être la plus fière? De facto, toute réalisation concrète, qu’il s’agisse des droits de l’homme ou de la construction de la tour Eiffel, est d’abord une réalisation de l’esprit, un concept, une notion. La laïcité, cette approche du politique permettant la coexistence pacifique de tous indépendamment des croyances de chacun est aussi une réalisation de l’esprit, qui trouve d’ailleurs un soutien dans les évangiles.
L’universalité de cette pensée renouvelée qui est celle des apôtres au jour de la Pentecôte et qui fécondera l’histoire de la pensée occidentale ne peut manquer de résonner aujourd’hui. Car avant que le choc des civilisations puisse être matérialisé sous forme de dissensions, exactions, actes terroristes et guerres, il faut qu’il existe en pensée ; il faut qu’il y ait, dans les conceptions intellectuelles des individus, un déficit de spiritualité si fort qu’il les pousse à s’accrocher à leurs vues étroites de l’homme et du politique de façon si rigide que ces conceptions en deviennent cassantes et blessantes. L’oubli de la signification du jour de la Pentecôte est un écho à l’oubli de l’universalité de la fraternité, pourtant incluse dans notre devise républicaine, laquelle a pour objet de ponctuer l’exigence de liberté et d’égalité, et de rappeler que sans fraternité, les deux premiers termes perdent de leur sens, de leur vitalité, et risquent de finir comme le figuier des évangiles, sec, car incapables de porter du fruit. En un siècle qui est peut-être le plus matérialiste que l’humanité ait connu, l’oubli du jour de la pentecôte est probablement un écho à l’oubli de l’Esprit, ou pire, au déni de l’Esprit. Nous avons aujourd’hui plus que jamais besoin de repenser la signification de l’Esprit, et peut-être même, et peut-être surtout, celle de l’Esprit saint.