Quel cadeau!

Par Bénédicte Gritti

Il y a une année, presque jour pour jour, je vivais une semaine de semi-confinement choisi, souhaité et attendu.
Une semaine de formation au Monastère de Bose dans le nord de l’Italie dont le thème était : Prendre soin de sa vie intérieure.
Une semaine consacrée à la lecture du texte, et … au silence et à la solitude.
Une semaine pleine de bénédictions bienfaisantes.

Un texte tout particulièrement a retenu mon attention durant cette semaine. Un texte plus que connu et qui pourtant a été pour moi une découverte.

Marthe et Marie

Durant ce confinement imposé et ce semi-confinement actuel, ce texte m’est revenu à l’esprit et principalement une lecture possible et proposée.
Il s’agit du récit de Marthe et Marie.

Comme Jésus était en chemin avec ses disciples, il entra dans un village, et une femme, nommée Marthe, le reçut dans sa maison. Elle avait une sœur, nommée Marie, qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Marthe, occupée à divers soins domestiques, survint et dit: Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour servir? Dis-lui donc de m’aider.
Le Seigneur lui répondit: Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. Une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée.
Luc 10, versets 38 à 42.

Traditionnellement, nous faisons une lecture de ce texte qui oppose la vie active à la vie contemplative. Une Marthe qui s’agite pour recevoir avec tous les égards qu’imposent les convenances le Seigneur qui s’est arrêté chez elle et sa sœur. Et une Marie qui, à l’inverse, s’agenouille aux pieds de ce Seigneur pour l’écouter. Et ce Seigneur d’affirmer que Marie a choisi la meilleure part. Laissant entendre qu’il est plus important d’écouter et de s’instruire que d’agir.

C’est alors qu’il est possible de lire ce texte différemment.
Et dans ma petite chambre du monastère de Bose, la lecture proposée par le frère en charge de notre formation m’a laissée songeuse et intéressée, je dirais même plus, libérée.

Il était intéressant pour commencer de comprendre que le contexte historique nécessitait une telle situation.
Jésus entre chez deux femmes. Un fait déjà étonnant pour l’époque et la tradition du judaïsme orthodoxe qui estimait que les femmes n’avaient pas le droit d’être enseignées. C’était comme jeter des perles aux pourceaux.

Mais Jésus transgresse cette logique et entre, de surcroît seul, dans la maison de ces deux femmes. Il est alors nécessaire de s’occuper de lui.
Tout naturellement, Marthe se met aux fourneaux. Et Marie tient compagnie à cet homme qui est entré en laissant ses amis dehors. S’il avait été accompagné, tout aurait été différent, il n’y aurait pas eu besoin de lui tenir compagnie.
Et voilà que Jésus se met à enseigner. Et Marie de s’asseoir et de l’écouter, comme aurait fait n’importe lequel de ses disciples. C’est alors Marie qui prend la place du disciple – qui devient disciple.

Ah non mais vraiment!

Puis les choses se gâtent. Marthe se met en colère et s’adresse à Jésus dans l’espoir de le rallier à sa cause. Elle fait tout et Marie ne l’aide en rien.
Et la réponse de Jésus est déroutante:

Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. Or, une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera pas ôtée.

Et voici le verset clé. Celui qui fait tant parler !
Celui qui interroge et laisse insatisfait.
Celui qui suscite tant de « guerres » entre l’action et la soi-disant passivité. Celui qui semble mettre en avant la contemplation et reléguer aux arrières l’action.

Et si nous lisions les choses autrement ?

A l’arrivée de Jésus, Marthe s’est immédiatement mise à l’œuvre pour accueillir dignement le Seigneur. Ce que nous ferions tous bien sûr.
Marie, quant à elle, ne semble pas s’inquiétait du travail à fournir aux cuisines et se contente de s’asseoir aux pieds du maître et de l’écouter.

Marthe enrage au point de finir par venir demander l’aide de Jésus afin qu’il raisonne cette Marie si futile.

Et Marie, stoïque, est « passivement » agenouillée devant Jésus.

Jésus ne portera pas secours à Marthe comme attendu. Mais non pas, comme on l’imagine, parce qu’il estime qu’il est plus important de l’écouter que de s’agiter derrière les plats. Non, le pourquoi de son refus se trouve ailleurs. Le pourquoi de la mise en avant de l’attitude de Marie réside ailleurs.

Alors que le Prince de la Paix vient d’entrer chez elle, Marthe se met en guerre contre sa sœur. Marthe elle-même n’est  plus en paix. Tout s’agite en elle et elle est menée par l’esprit de guerre.

Marie, quant à elle, se tait. Elle ne cherche pas à répondre aux accusations de sa sœur. Elle ne cherche pas à entrer en guerre à son tour. Elle reste en paix.

La bonne part

Marthe s’agite alors que Marie reste unifiée en son for intérieur. Elle prend le parti de ne pas entrer en guerre contre Marthe, ni contre elle-même d’ailleurs. Marie garde la bonne part.

Ainsi, dans l’agitation de nos vies, dans chacune de nos actions, il est souvent tentant de partir en guerre contre « ceux qui font moins » ou « pas comme j’aimerais » ou encore « qui n’ont rien compris », la liste est longue des « ceux qui…. ».

Et dans cette agitation nous oublions de choisir la bonne part. Nous oublions de prendre soin de notre propre vie intérieure, de notre paix intérieure. Nous oublions de travailler à posséder un cœur unifié, pacifié, celui que Dieu nous souhaite à travers toutes les Écritures. Un cœur de pierre changé en cœur de chair; un cœur loyal; un esprit neuf. Un cœur qui ne soit plus divisé entre diverses pensées agitées. Et il n’y a qu’une manière d’avoir un cœur pacifié, c’est de le demander dans la prière, car cette paix dont il s’agit est celle qui vient de Dieu.

Quel cadeau!

Une semaine dans un monastère pour prendre soin de sa vie intérieure. Le rêve !

Il était grand temps que je prenne du recul, que je me retire de l’agitation du quotidien, que je m’isole des bruits du monde.

J’avais besoin de retrouver ce cœur pacifié, ce cœur unifié. Et au fil des jours, dans la solitude de ma chambre, dans le silence de la nature avoisinante, au contact des frères et sœurs de la communauté de Bose, et dans la prière, je trouvais et recevais petit à petit ce que j’étais venue chercher.

Je sentais toutes les vertèbres de la colonne de mon esprit et de mon cœur craquer et s’ajuster au fur et à mesure que les jours avançaient.

J’ai beaucoup repensé à cette semaine durant ce confinement, bien que le contexte ait été tout autre. J’ai beaucoup cherché à retrouver cette paix intérieure durant cet isolement imposé. Car oui, cette paix intérieure est extrêmement fragile, elle se perd à tout bout de champ. Les compromissions et les corruptions la malmènent trop souvent. Elle est sans cesse à chercher de nouveau. C’est un travail du quotidien.

Bon retour!

A présent que nous tentons de retourner à une vie sociale « ordinaire » qui nous envoie à nouveau dans le monde, j’aimerais conserver, et vous inviter à y penser aussi, l’ambition de toujours demander ce cœur unifié qui ne séjourne pas sur les lignes de combats mais qui sait choisir la bonne part.

Je vous laisse la Paix, je vous donne ma Paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé.
Jean 14, verset 27.

Extrait de l’Office du matin de Bose