Par Loïc Deriaz
Il était une fois un grand randonneur qui adorait parcourir à pied par monts et par vaux la nature qui l’entourait. C’est comme ça qu’il découvrit tout d’abord les sommets surplombant son village natal du pied du Jura Nord-Vaudois, puis toutes les crêtes de la chaîne du Crêt de la Neige (le plus haut sommet du Jura) sur les hauteurs de Genève aux collines du Jura argovien. Il s’aventurait aussi souvent dans les Préalpes et les Alpes toujours à hauteur de végétation passionné qu’il était de botanique. Et puis un jour, l’envie de marche fut telle qu’il partit plus loin encore. Le jour de son 23e anniversaire, le 1er juillet 2009, le jeune homme fit ses premiers pas sur le Chemin de St-Jacques de Compostelle. Parti d’un petit village de la vallée d’Aspe aux pieds des Pyrénées françaises, il marcha seul pendant une petite trentaine de jours à travers tout le Nord de l’Espagne vers le but qu’il s’était fixé : Santiago de Compostella et l’Océan Atlantique à l’extrême Ouest du continent européen.
Ce grand voyage initiatique à pied fit de ce jeune randonneur un pèlerin. Plus jamais, il ne marcherait comme avant ! Ce petit millier km à pied s’était ancré dans ses cellules pour la vie… Vie qui continua son cours normal durant deux ans jusqu’à la fin des études du marcheur devenu ingénieur en construction bois. A peine son travail de diplôme défendu qu’il se remit en chemin. Parti cette fois-ci de son village natal, il marcha plus de 1200km à travers toute la France pour rejoindre ce petit village de la vallée d’Aspe quitté deux ans plus tôt. Il avait alors atteint un autre but : achever complètement « son » Chemin de St-Jacques, chemin que l’on parcourait à l’origine toujours depuis chez soi (et par ailleurs aussi aller-retour ce qui n’est souvent plus possible de nos jours faute de temps…). Au cours de ce grand périple en solitaire, le jeune pèlerin continua de croître son ouverture au monde spirituel. Lorsqu’il marchait, il ne se sentait jamais vraiment seul. Les innombrables lieux de prières visités parsemant le chemin lui semblaient toujours habités. Ils lui offraient souvent un abri bienvenu (du soleil, de la pluie…) et lui redonnaient de l’énergie pour continuer sa route, toujours plus loin…
Revenu à la vie dite « normale », le jeune homme ne cessa de penser à repartir marcher cherchant d’autres buts, d’autres chemins de pèlerinage qui devaient s’accorder avec des périodes de congés plus courtes. En 2013, c’est dans le Sud-Est de l’Angleterre que le pèlerin marcha. Parti de Salisbury, il rejoignit Winchester (la plus longue nef gothique d’Europe !) puis Canterbury en suivant un bien nommé « pilgrim’s way », chemin de pèlerinage historique tombé dans l’oubli (à tort). De Canterbury, c’est un autre grand chemin de pèlerinage qui débute, la dite « Via Francigena », l’occasion pour le grand marcheur de faire ses premiers pas vers un autre but : Rome à plus de 2100km des côtes de la Manche !
Plus le célibataire de 27 ans marchait, plus il ressentait l’envie de partager son immense joie avec une compagne de route. Deux buts en parallèle se dessinèrent alors : continuer son chemin vers Rome et trouver sa « petite fleur sauvage ». Une année plus tard à la faveur de nouvelles grandes vacances d’été, le pèlerin se remit en marche… seul. Parti des plages de Calais, là où il s’était arrêté l’année d’avant, il reprit son Chemin en direction de Rome. Son but : marcher aussi loin qu’il le pourrait en 3 semaines. Il atteignit Bar-sur-Aube 500km plus loin.
C’est deux semaines plus tard de retour en Suisse qu’il rencontra Séraphine, celle qui s’était reconnue dans la recherchée « petite fleur sportive et spontanée », celle qui allait devenir sa compagne de marche et sa compagne de vie. Avec un prénom pareil, elle ne pouvait être envoyée que par un ange (il y en a beaucoup sur les chemins). Il fallut bien quelques km pour que le pèlerin habitué aux marches solitaires ouvre son cœur…et ses bras. L’été d’après, c’est un nouveau chemin qu’ils réinventèrent à deux. Reparti de Bar-sur-Aube, les deux amoureux marchèrent toujours sur la Via Francigena jusqu’à Ornans dans le Jura Français. Leur but : apprendre à cheminer à deux.
L’année de ses 30 ans, celui qui était parti vers St-Jacques 7 ans auparavant, se maria et devint papa pour la première fois. Allez savoir pourquoi, ce fut avec un bâton de marche (ou de pèlerin) que son fils fit ses premiers pas l’année suivante en 2017. La petite famille se remit en chemin à 3 à pied depuis Ornans. Leur but : le Col du Grand-St-Bernard, point culminant du chemin vers Rome ! Marcher 250km avec un petit garçon de 14 mois n’est pas chose aisée. C’est grâce à l’hospitalité de nombreuses personnes sur leur Chemin que la famille a pu réaliser son rêve.
Mai 2020, avec un petit marcheur de plus, c’est à vélo que la famille pèlerine devait repartir à 4 sur les chemins de la Via Francigena durant 5 semaines. Leur but : rejoindre les côtes de la mer Ligurienne vers Massa en traversant le Nord de l’Italie. L’actualité de ce printemps si particulier ne leur a évidemment pas permis de poursuivre leur rêve. Les grandes vacances ont par contre pu être décalées fin août-septembre. Loïc, Dévaki-Séraphine, Olivier et Célestin se réjouissent déjà de repartir à vélo. Nul ne sait encore s’ils pourront rejoindre la mer cette année (les enfants n’y sont encore jamais allés), peut-être se contenteront-ils de faire le tour de la Suisse ? L’important est ailleurs.
Le BUT qu’il soit atteint à pied, à vélo, par tout autre moyen ou même en restant sur place, n’est pas géographique. SUIVRE UN CHEMIN, qu’il soit de terre, de pierres ou d’asphalte, qu’il soit sportif, culturel ou spirituel, c’est ça l’important. Les pèlerins connaissent bien la devise : Le CHEMIN est le BUT.
« Bon chemin à toutes et tous ! Ultreïa ! »
(Ultreïa est une salutation pèlerine du Moyen-Âge qui pourrait être traduite par « Aide-nous, Dieu, à aller toujours plus loin, toujours plus haut », encore couramment utilisée aujourd’hui sur le chemin de St-Jacques.)