Par Yves-Daniel Cochand
Beaucoup de paroissiens de la BARC vivent dans un environnement verdoyant, car Milvignes, Rochefort et Brot-Plamboz jouissent d’une densité de constructions particulièrement favorable. Si la tenue d’un jardin peut parfois se révéler harassante, elle s’est transformée, pour moi en tous les cas, en privilège rare pendant le confinement que nous vivons. Un grand nombre d’entre nous a aussi mis à profit la proximité immédiate de la nature pour suivre avec intérêt la vie de la faune ou l’éclosion de la flore printanière. Pour ma part, je me suis exercé à l’observation des oiseaux, un art dans lequel je me suis lancé il y a quelques mois en autodidacte. La pratique de l’ornithologie ne revêt pas seulement un côté passionnant en tant que branche scientifique, elle implique aussi de nombreuses promenades souvent lentes en pleine nature ou de longues périodes d’attente, autant de moments propices à la méditation. Voici quelques réflexions personnelles nées au cours de mes heures d’ornithologue amateur.
Les oiseaux dans la Bible : phare sur les corvidés
L’automne dernier, j’observais non sans émerveillement la corneille noire (corvus corone) décortiquer des noix avec grande adresse. Qui croirait que cet oiseau si pataud lorsqu’il se déplace dans les hautes herbes est le plus intelligent de nos contrées ? Pourtant, la tradition populaire voit plutôt en lui un oiseau de mauvais augure, sans doute du fait de sa livrée noire. Qu’en est-il dans la tradition chrétienne et plus particulièrement des écrits bibliques ?
Le corbeau (utilisons ici par souci de lisibilité le nom vernaculaire des corvidés) est mentionné à onze reprises dans la Bible, souvent de manière négative, sans doute du fait de ses habitudes de charognard. Il y a deux passages qui lui octroient une place significative, le récit du Déluge (Genèse 8) et l’épisode d’Élie au bord du torrent de Kerith (1 Rois 17).
On se souviendra que dans le premier, après 40 jours et 40 nuits, Noé ouvre la fenêtre qu’il avait ménagée dans l’arche et envoie d’abord un corbeau, plus, apparemment insatisfait des services du corvidé, il enverra à trois reprises une colombe, qui reviendra la première fois bredouille, la seconde fois avec une feuille d’olivier. À la troisième tentative, elle ne reviendra plus, signalant ainsi à Noé que les eaux s’étaient suffisamment retirées. L’antagonisme entre le corbeau et la colombe a nourri des siècles de pensées théologiques. Le pur s’oppose à l’impur, le blanc au noir, le péché à la vertu. Et pourtant, il n’est pas reproché au corbeau d’avoir mal agi. En fin de compte, n’oublions pas non plus que le Seigneur a permis au corbeau de survivre au Déluge et de sortir vivant de l’arche.
Dans le second passage Élie annonce la survenue d’une sécheresse au roi Achab et se réfugie outre-Jourdain au bord du torrent de Kerith, suivant ainsi l’injonction du Seigneur, qui donne aussi l’ordre à des corbeaux de lui apporter de la nourriture matin et soir. Le corbeau en animal salvateur ? Voilà qui allait interpeller des générations d’exégètes. J’aime quant à moi y voir un symbole de la grâce divine.
Comme souvent dans les textes bibliques, une lecture trop textuelle nous priverait de toute la finesse du message. Ne nous laissons pas emporter par les apparences. Il y a aussi du bon dans ce qui est sombre. (1)
La représentation du Tout Autre
Au cours des âges toute une symbolique religieuse s’est développée autour des oiseaux. Le Moyen-Âge est particulièrement riche en symboles animaliers, qui frôlent parfois l’ésotérisme. Ainsi, la colombe est souvent le symbole du Saint-Esprit, la grue celui de la vigilance, le vanneau celui de la piété filiale ; le paon ou le coq sont l’emblème du christ conducteur. Cette symbolique n’est pas évidente et le commun des mortels est bien contraint de se référer aux ouvrages de référence pour interpréter les représentation artistiques (2).
Dans un registre plus spontané, il est relativement facile pour chacun de nous de mettre en relation les oiseaux et les œuvres de Dieu. La légèreté de bien des espèces d’oiseaux, leur capacité à voler, leur domination de l’air, nous conduisent naturellement à l’image du Ciel, là où notre imaginaire localise le Très Haut. De même, le comportement des espèces aviaires a inspiré nombreux prédicateurs et continue à occuper une place privilégiée dans les métaphores de nos pasteurs et laïcs.
Mais qu’en est-il de la représentation de Dieu lui-même ? Je me suis souvent posé la question lorsque mon regard d’observateur se dirigeait vers le ciel. L’être humain est limité dans ses capacités d’imagination par ce qu’il connaît d’une part, par les notions de base que sont la matière, le temps ou les lois de la physique d’autre part. Je l’imagine parfois comme se trouvant au-delà des trous noirs au centre de nos galaxies, là où tous les infinis se rejoignent et où le temps et la matière cessent d’exister comme nous les connaissons : À quoi bon le temps dans l’éternité et à quoi bon la matière pour la survie de l’âme ? Il s’agit bien sûr d’une simple vue de l’esprit très personnelle, car il est impossible de se représenter ce Dieu « Tout Autre » comme l’affirmait Karl Barth et avec lui les tenants de la théologie dialectique.
Contempler ou agir ?
Une réflexion que je n’ai pas pu m’empêcher de faire comme protestant neuchâtelois a trait à la nature contemplative de l’observation des oiseaux. N’est-ce pas une activité futile et contraire à l’éthique protestante qui valorise le travail et l’action ? Il faut toutefois se demander si la contemplation est toujours passive. Selon mon expérience d’ornithologue amateur, la contemplation de la nature implique toujours une présence d’esprit et une activité intellectuelle très soutenues. Observer avec succès nécessite une approche systématique, de la technique et un effort constant. Il n’en reste pas moins que cette activité n’est pas productive en tant que telle. Il me paraît pourtant très honorable de se rapprocher de la nature et de l’admirer, car cela nous fournit les moyens de mieux participer à l’effort de protection de la Création du Très-Haut, un but fort honorable en ces temps de dérèglement climatique. La contemplation de la nature est enfin et surtout une forme d’humilité devant la Création.
Pour clore mes réflexions, je ne résiste pas à la tentation de partager une expérience récente, qui a d’ailleurs motivé la rédaction de ce feuillet. L’observation des oiseaux peut parfois prendre des tours frustrants. Ainsi, on ne voit pendant de longues semaines que les mêmes espèces bien connues ou lorsqu’un volatil inconnu s’approche enfin, il est à contre-jour ou il s’envole immédiatement car il a repéré le reflet des lunettes d’approche. Tout s’est heureusement passé autrement ce samedi de Pâques en fin d’après-midi, que je passais comme nous tous confiné chez moi. Depuis ma terrasse, en moins d’une heure, j’ai eu le privilège de pouvoir observer une huppe fasciée (upupa epops), espèce rarissime dans nos contrées, un torcol fourmilier (jynx torquilla), peu fréquent dans le canton, et enfin une bande de chardonnerets élégants (carduelus carduelus), ma première observation de cette espèce près de chez moi. Je ne vous cache pas que j’ai remercié le Seigneur, vocalement et gestuellement à la manière des évangélistes, pour les beautés de sa Création et c’est le cœur plein d’allégresse que j’abordais la veillée pascale. J’en ai presque oublié ce pincement au cœur que je ressentais dans la perspective de chanter « A Toi la gloire » seul dans mon salon.
(1) Pour une étude très complète de la place du corbeau dans le corpus biblique, dont je me suis largement inspiré, voir l’article suivant tiré d’une revue qui paraît en ligne : Jean-Marc Vercruysse, Le corbeau, survol d’un oiseau outrenoir dans le ciel biblique, in : L’Entre-deux, Numéro 3, juin 2018 (numéro sur le thème : Les oiseaux, de l’animal au symbole)
(2) Ouvrage incontournable en matière d’emblématique christique et de symbolisme : Louis Charbonneau-Lassay, Le bestiaire du Christ, Albin Michel, 2006 (réédition)