Henri Alexandre Junod raconté par son petit-fils

La parole est donnée à nos paroissiens qui ont le souhait de partager avec vous ce qui leur tient à cœur.
Et c’est Olivier Junod qui prend le départ pour vous présenter son grand-père, missionnaire au Mozambique et né à Chézard-Saint-Martin.

Bonne lecture à vous, et d’avance, merci à Olivier.

L’entreprise missionnaire Suisse romande en Afrique Australe de 1870 à 1975

Le 30 août 2019 j’ai été invité à L’Espace Arlaud, à Lausanne pour voir l’exposition « Derrière les Cases de la Mission ». Cette exposition était organisée par le Musée Cantonal d’Archéologie de Lausanne et du Musée d’Ethnographie de Neuchâtel. J’étais convié comme petit fils du missionnaire Henri Alexandre Junod qui a été pendant plusieurs années missionnaire au Mozambique, à Rikatla, village qui se trouve à 25 km au nord de Lourenco Marques (maintenant Maputo).

Je me permets de vous énumérer quelques dates importantes de la vie de mon grand-père :

Henri Alexandre Junod est né le 17 mai 1863 à Chézard-Saint Martin. Son père, Henri Junod, qui était pasteur, a remplacé en décembre 1867 le pasteur James Du Pasquier, et c’est ainsi que mon grand-père a vécu plusieurs années dans la maison de Guillaume Farel au pied de la Collégiale de Neuchâtel. Henri Alexandre a étudié la théologie à la faculté de théologie de l’Église indépendante de Neuchâtel. Il compléta ses études de théologie à Bâle et Berlin.  A l’âge de 22 ans il a été consacré pasteur à la Collégiale. Son premier poste comme pasteur a été à Môtiers.

Le 21 juin 1886 le Conseil de la Mission Romande accepte mon grand-père comme candidat missionnaire. Comme futur missionnaire, il part quelques mois à Édimbourg pour apprendre l’anglais, mais aussi pour acquérir les connaissances médicales et chirurgicales indispensables.

Après son mariage avec Émilie Biolley, il part avec son épouse en juin 1889 pour Lourenço Marques. Ils resteront 7 ans au Mozambique où sont nées leurs filles, Anne Marie en 1891 et Élisabeth en 1895. En 1893 naîtra un garçon qui décédera aussitôt. En juin 1896 ils repartent pour la Suisse mais en France à La Roche-Migennes dans l’Yonne, Élisabeth meurt d’une violente attaque de dysenterie.

Ils vivent ensuite à Neuchâtel, à la rue Collégiale 10, où naît en 1897 Henri-Philippe. Mon grand-père a une grande période d’activités littéraires : en 1896 paraît la « Grammaire Ronga » de 300 pages. Puis en 1897 paraît un charmant volume intitulé « les Chants et les Contes des Ba-Ronga » et mon grand-père continue la traduction de la Bible en Ronga. En 1896 paraissait à l’imprimerie Paul Attinger « les Ba Ronga, étude ethnographique sur les indigènes de la baie de Delagoa ».

Le 8 avril 1899, ils repartent avec leur fils Henri-Philippe pour Lourenço Marques. Leur fille Anne Marie est restée à Paris chez des cousins.

Lors de sa deuxième campagne au Mozambique mon grand-père a perdu son épouse, qui est décédée le 9 juillet 1901 après avoir été opérée par le docteur et missionnaire Georges-Louis Liengme (1859-1936). Après la mort de son épouse, Henri Alexandre se sépare de son fils Henri-Philippe, qu’il renvoie en Suisse, à Couvet chez sa grand-mère. En 1902, il revient en Suisse. Le 17 mars 1904, il épouse Hélène Kern-de Schulthess, qui est aussi missionnaire. Ils repartent pour le Mozambique, pour une troisième campagne en Afrique, en juin 1904.

A Rikatla ils fondent une École d’évangélistes.  Le 30 avril 1905 nait Éveline mais elle meurt le 12 mai. Le 31 juillet 1908 naît Blaise Édouard.

Le 30 juillet 1909 ils reviennent en Suisse. Mon grand-père se met alors à rédiger avec persévérance le grand ouvrage de sa vie, en anglais : « The life of a South African Tribe » Il y aura 2 volumes de cet ouvrage : 1. Social Life, 2. Mental Life. Il s’agit d’une monographie de la population tsonga. Par la qualité et la quantité des documentations, le livre de mon grand-père représente une base de travail de premier ordre. Son épouse, Hélène, a consacré des semaines, des mois à la correction des épreuves.  Elle a secondé son mari avec grande patience et sa connaissance approfondie de l’anglais lui a été une grande aide.

Fin juin 1913, ils repartent pour Lourenço Marques en passant par Paris, où ils laissent leur fils Blaise. C’est donc la quatrième campagne en Afrique. Le 9 octobre 1914 naît Etienne-Alexandre, mon père.

Le 30 mars 1917, Hélène Junod décède. Avant son départ définitif pour la Suisse en octobre 1920, mon grand-père a consacré 4 nouveaux pasteurs à Rikatla. Le 15 octobre il s’installe avec Etienne à Auvernier dans la maison de la Mission.

Mon grand-père quitte Auvernier le 15 juillet 1921 et déménage à Genève où il prend le poste d’agent de la Mission. A Genève il accepte également le poste de Président du Bureau International pour la Défense des Indigènes B.I.D.I. Il profite par ailleurs de publier une seconde édition considérablement revue et augmentée de « The life of a South African Tribe » qui sera plus tard traduite en français.

Mon grand-père décède le 22 avril 1934 à Genève et il est enterré à Rikatla.

Voilà la vie de mon grand-père. J’aurais bien aimé le connaître surtout que mon père n’en parlait jamais.

Pendant la visite de l’exposition « Derrière les cases de la mission » j’ai appris qu’il existait un papillon qui portait le nom de « Junodi ». Mon grand-père était un grand collectionneur de papillons. En plus on pouvait acheter une BD « Capitão » de Yann Karlen et Stefano Boroni qui est librement inspirée des écrits de Georges-Louis Liengme et de mon grand-père.

En novembre 2019 Rose-Annette Guinchard me téléphone et me demande si je suis parent avec Henri Alexandre Junod. Je lui réponds oui et je lui ai demandé mais pourquoi cette question. Elle m’a alors expliqué que la paroisse de Chézard organise une soirée à Dombresson sous le titre « rendons à Chézard ce qui est à Chézard »

J’ai donc décidé d’aller avec Rose-Annette à cette soirée. La première partie de la soirée, on a parlé des pruneaux de Chézard puis, après une courte pause on a parlé du missionnaire Henri Alexandre Junod (Pruneaux et Junod, cela fait une jolie rime) qui est né à Chézard et on a montré un film de 2004 où l’on voit mon père, à l’âge de 90 ans, inaugurer la bibliothèque « Henri Alexandre Junod » à Rikatla, au Mozambique. La télévision portugaise avait suivi mon père pendant 3 jours à Rikatla et l’avait interrogé sur son père. Par ailleurs, dans le film, on voit beaucoup de missionnaires mais aussi des ethnologues parler de mon grand-père. C’était assez émouvant de revoir mon père.

Donc en 2019, j’ai eu le plaisir de m’intéresser un peu, grâce à l’exposition de Lausanne et la soirée de la paroisse de Dombresson un peu à la Mission suisse-romande au Mozambique. J’ai appris le travail des missionnaires et j’ai toujours pensé que la première tâche des missionnaires était de convertir les indigènes et de leur apprendre notre façon de vivre. Pour moi, un missionnaire était aussi un colonisateur. J’avoue que je n’avais pas une grande estime pour les missionnaires même en sachant que mon grand-père était missionnaire. L’exposition a donc changé mon regard sur les missionnaires.

Les personnages, comme Henri Alexandre Junod ou Georges-Louis Lenigme, font parties des pionniers, des fondateurs d’un mouvement dont DM-échange et mission est l’héritier. Ils étaient rattachés à la Mission suisse en Afrique du Sud, société missionnaire liée aux Églises libres. Petit à petit, des comités de soutien issus des Églises nationales se créèrent en faveur de ces sociétés. En 1963, les Églises réformées de Suisse romande fondent DMéchange et mission, héritière de ces sociétés missionnaires.

L’une des particularités de ce que nos partenaires d’Afrique australe appellent encore la « mission suisse », c’est qu’elle rassemblait toute une série de corps de métiers, pas uniquement des pasteurs. On estimait que l’Évangile s’adressait à l’être humain dans sa globalité. Ces premiers missionnaires étaient donc médecins, enseignants, infirmiers, agronomes. Une station missionnaire comprenait une école, un hôpital, parfois une école d’agriculture ou un internat. Tous ces missionnaires s’intéressaient à la langue locale, aux coutumes, un bon nombre ont fait œuvre d’anthropologue et ont collaboré avec les sociétés scientifiques de l’époque. Les missions protestantes ont attaché une importance particulière à l’éducation, vue comme libératrice, et développé des réseaux d’écoles. Nombre de membres des élites politiques menant un pays vers l’indépendance sont issus des missions. Ici, on peut nommer Eduardo Mondlane qui a commencé sa primaire à l’école de la Mission Suisse et la terminera à Lourenço Marques. Il obtiendra son diplôme d’évangéliste à Rikatla. Eduardo Mondlane est considéré comme le père du Mozambique indépendant et premier président du Front de libération du Mozambique (FRELIMO). Il sera tué par un colis piégé le 3 février 1969. Le Mozambique est devenu indépendant du Portugal le 25 juin 1975.

Pour terminer je voudrais vous montrer une lettre écrite par des étudiants du Mozambique à des futurs missionnaires lors de cours de langue à Lisbonne. Propos rapportés par Janet Mondlane, épouse d’Eduardo Mondlane, dans une lettre à Alain Reymond, secrétaire général de la Mission, le 8 novembre 1960.

A méditer.

Peseux, le 3 avril  2020

Olivier Junod
Conseiller de paroisse de La BARC