Interview par Jean-Jacques Beljean
Quand le jeune Adrian regardait au loin le Jura d’un estivage des Préalpes fribourgeoises, il ne se doutait pas qu’il s’établirait un jour au pied de ces montagnes pour accomplir sa vocation familiale et professionnelle. Lui qui se destinait d’abord au football (n’avait-il pas joué contre le FC Bôle !), puis à une formation de laborantin en chimie organique à l’université de Fribourg, le voilà établi comme agriculteur, maraîcher et semencier à Chambrelien. Que de chemin parcouru de son enfance singinoise à la création et la perpétuation de Biosem, entreprise pionnière de semence bio connue loin à la ronde.
Son parcours de vie l’a toujours confronté à la question de la dualité : une origine minoritaire alémanique avec un côtoiement de la culture romande tant au village qu’à Fribourg lors des études ; une famille catholique et une épouse protestante, qui plus est pasteure, Susanne ; une vie campagnarde mais une confrontation constante à la ville… Tout cela, loin d’être stérile, lui paraît fécond, source de renouveau et de progression dans un monde où les différences ne sont plus perçues comme enrichissantes mais comme menaçantes. Il en gardera un fort goût pour le dialogue avec des personnes professant d’autres opinions et pratiquant d’autres modes de vie que le sien.
Le voilà donc qui arrive à Chambrelien, pour faire du bio à une époque où presque personne ne sait de quoi il s’agit. Un nouveau débat s’ouvre, avec ses collègues, avec la population. Ce fut fécond. Son amour des plantes, hérité inconsciemment de ses grand-mères qui produisaient leurs propres graines, le poussera à développer sa pratique de semencier. Une vraie vocation. Partisan des anciennes variétés pour leur robustesse, il n’exclut aucunement la sélection, pour son rendement, à condition que cela se fasse au rythme de la nature et non à celui des laboratoires industriels. Il est conscient qu’il sème mais que c’est Dieu qui fait pousser. La nature, pour lui, c’est une part de la création divine où Dieu peut en partie être compris à travers les processus biologiques. Il est ainsi amené à ne plus chercher mais surtout à observer et recevoir, sans toujours vouloir déterminer l’avenir. Collaborer avec la nature est pour lui une forme de spiritualité et non seulement une question technique.
Toutefois la pratique religieuse au sens restreint prend toute sa place dans la vie quotidienne : la vie de la ferme s’intègre dans une vie communautaire, rythmée quotidiennement par un moment de recueillement. Les temps forts de Noël, Pâque, Pentecôte, sont observés. Placé sous le regard de Dieu, le travail devient collaboration avec le Créateur. Ce besoin d’une spiritualité concrète et constante le garde à une certaine distance des institutions dont il ne ressent pas fondamentalement le besoin et qu’il estime devoir être réformées dans le sens de la vie quotidienne. Pour lui, tout se vit avant tout dans la relation à la terre et aux autres, dans une confrontation féconde et respectueuse. C’est pourquoi il est pratiquant de la communication non violente, qui ouvre des plages d’action dans tous les domaines. C’est d’ailleurs dans une communauté orientée vers la non-violence, l’écologie et la spiritualité qu’il rencontrera son épouse Susanne. A partir de cet événement se mettront en place l’installation à Chambrelien, la vie avec la Communauté déjà active sur place et le projet du domaine bio.
Tout cela peut déboucher sur la confiance, base de relations humaines saines. Dans cette optique sera créé un jardin maraîcher self-service où chacun se sert et règle son dû dans la confiance mutuelle. Pour lui, la confiance crée l’honnêteté dans les relations et donc le bonheur.
C’est tout un programme à partager et surtout… à vivre !