Par Jean-Jacques Beljean
Quand les catastrophes frappent l’on ne peut s’empêcher de se poser immédiatement une foule de questions : pourquoi moi, pourquoi les autres, que fait Dieu, y a-t-il un sens à tout cela, ce qui nous arrive est-il un avertissement, cela pourrait-il nous servir …. ? Des informations de tous ordres déferlent, qu’elles soient exactes, scientifiques, progressives ou carrément nuisibles.
Il vaut la peine de se mettre un instant en retrait et d’examiner ce que cet étrange Livre de Job, dans l’Ancien Testament, nous dit du malheur qui atteint, ici tout particulièrement, l’homme de Dieu qu’est Job. Job est un homme bon, certes de son temps, grand propriétaire et richissime. Il est juste, presque trop juste, un brin pharisien. II a le souci de sa famille, des autres, de ses employés comme de la veuve et de l’orphelin. Et pourtant c’est lui qui va être frappé. Durement, fortement, et, ce qui est le plus scandaleux pour un juste, avec la permission expresse de son Dieu. Tout lui est enlevé : son bétail est volé, ses serviteurs massacrés, ses fils et filles victimes d’une catastrophe naturelle. Et tout cela, Dieu, sur l’instigation du Satan, laisse faire. Le Satan veut éprouver Job et Dieu reste passif, voire consentant. Mais Job ne bronche pas, ne se révolte pas.
Mais ce n’était qu’un début. Bien vite, sur l’instigation du mystérieux adversaire et l’autorisation divine renouvelée Job sera atteint de la plus terrible maladie contagieuse de l’époque, la lèpre. La lèpre qui ronge les chairs comme le Covid-19 ronge les poumons, maladies terribles qui isolent médicalement et socialement. Mais Job ne se plaignit pas et il ne maudit pas Dieu.
Les donneurs de bons conseils
Job ne commencera à se plaindre que quand les donneurs de bons conseils, pleins de bons sentiments au départ, vont se pencher sur sa situation. Les donneurs de bons conseils se mirent à expliquer la situation, à la rendre rationnelle, voire à dire qu’elle a une utilité. Dieu, disaient-ils en substance, punit l’injuste et sauve le juste. Job étant malade et maudit, c’est qu’il est un grand pécheur qui ne veut pas reconnaître son péché. Il devrait se repentir, reconnaître ses fautes. Car, pour les amis, le malheur est la preuve du péché. Certes, au départ, ils ont de bonnes intentions… mais l’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ? C’est alors que, sans maudire Dieu, Job se mit à se plaindre, regrettant d’être né.
Les donneurs de bons conseils sont de tout temps. Dans le livre de Job, ils prononcent des discours. Aujourd’hui ils envoient des vidéos qui circulent à travers les réseaux sociaux. Selon certains cette pandémie mortelle et tragique servirait un dessein caché de purifier notre pauvre planète pour lui permettre un nouveau départ. Cette pandémie nous ouvrirait un nouvel avenir. Les millions de morts ne seraient que de faibles dommages collatéraux, certes bien tristes. Mais, nous dit l’Evangile, ne sont-ce pas les faibles et les petits qui sont au centre de l’amour divin ? Pour le Christ, il n’y a pas de dommages collatéraux.
Avec Job il nous faut nous insurger contre cette vision « eugéniste ». Même si tout cela est « naturel », n’est-ce pas profondément injuste que l’un s’en aille et l’autre non ? Ceux qui ont raison ce ne sont pas les donneurs de bons conseils mais tous ceux et celles qui, au péril de leur vie, s’engagent pour les autres : infirmières et infirmiers, médecins, vendeurs et vendeuses, facteurs, livreurs, militaires et jeunes gens qui vont faire des courses pour leurs ainés et tant d’autres encore.
Les trois amis de Job n’en démordront pas. Sclérosés dans leur théologie selon laquelle Dieu sauve le juste et punit le méchant… et donc, faute élémentaire de logique, que la victime est coupable, ils vont être, heureusement disqualifiés par Job, comme d’ailleurs un quatrième ami venu enfoncer le couteau dans la plaie. Sa femme, au désespoir, lui conseillera plutôt de maudire Dieu pour qu’il le fasse mourir (une forme d’euthanasie…)
J’en appelle à Dieu… contre Dieu !
Job n’en démordra pas. Même, il accusera Dieu de ne pas faire son travail. Il ira jusqu’à dire : j’en appelle à Dieu contre Dieu. Mais le silence de Dieu va persister longtemps : près de trente-sept chapitres sur 42 ! Mais au 38ème Dieu se mettra à lui parler. Non de son trône, mais du milieu de l’ouragan, c’est-à-dire de la crise. Son discours sera à la fois rassurant et décevant : D’une part il dira que Job a bien parlé, d’autre part il lui donnera en partie tort. Non qu’il aurait péché mais plutôt qu’il n’aurait pas reconnu qui est Dieu et que Dieu a des limites. Eh oui ! La même limite qui fera que le Christ en croix mourra et ne sera pas dépendu du bois par une intervention d’anges du ciel.
L’œuvre de Dieu, dans le livre de Job, n’est pas celle que l’on croit. Ce n’est pas avant tout une œuvre de création mais une œuvre de limitation. Devant le désordre du monde, le chaos, le tohu bohu primitif, l’œuvre divine est de limiter le désordre et non de rendre le monde parfait. C’est déjà le propos de Genèse 1 quand on lit attentivement le texte. Tout existe déjà, mais à l’état de désordre. Dieu vient limiter le pouvoir du désordre, il instaure le jour et la nuit, met les choses en place et tout en haut l’être humain capable du Bien et du Mal, chargé de continuer son œuvre de limitation du désordre. Limiter le désordre n’est-ce pas ce que font tous ces soignants, nos autorités… ?
Mon serviteur Job a bien parlé
Job a donc raison de se plaindre de ce désordre. Dieu l’approuve. « Mon serviteur Job a bien parlé ! » Mais il doit aller plus loin, ne pas en rester là. Il doit se laisser instruire pour agir. Repartir d’un pied nouveau. Job va devoir comprendre que Dieu ne peut pas éradiquer le mal ; il travaille à le limiter dans une lutte incessante contre le chaos, les catastrophes terrestres, maritimes, les épidémies, la méchanceté humaine. Dieu se révèle, dans le livre de Job, comme un Dieu des limites. Pas le Dieu du Djihad ou des Croisades, mais le Dieu qui nous veut plus justes, plus actifs dans notre collaboration avec lui contre les déferlantes du chaos primitif.
Dieu va tancer sévèrement les amis de Job. Avec leur théologie de la rétribution selon laquelle Dieu punit les méchants et bénit les juste, très en vogue au 21ème s également, ils sont à côté de la réalité. Ce qu’ils prétendent ne se vérifie pas. Seul Job a bien parlé, car il a été franc envers son Dieu, loyal jusque dans la critique et sincère. Il n’a jamais recouru aux bons conseils et à l’hypocrisie religieuse.
La fin du livre de Job pourrait paraître décevante. Job va retrouver sa situation, et même une meilleure encore. Quand tout sera fini va-t-on oublier les morts, les malades et les dévouements innombrables qui auront permis d’être plus fort ? Cela arrive parfois, comme après les grandes guerres où l’on fait la fête et réalise des films comiques pour exorciser le passé et ne garder aucune leçon de l’histoire. Mais ne faut jamais l’oublier : les serviteurs et les enfants de Job sont morts.
Il ne suffit pas de lire la fin…
Dans une histoire comme celle de Job, il ne faut pas se contenter de lire la fin, le happy end. Toute l’histoire est à lire et à relire, avec ses étapes, ses doutes, ses persévérances, ses hypothèses biaisées. Le livre de Job est l’histoire d’un homme en combat mais aussi d’un Dieu dont la seule force, le Nouveau Testament nous le montrera en Christ, se trouve dans l’amour, la faiblesse et une lutte incessante contre le chaos du monde.
Il faut se souvenir des victimes, des dévouements, être reconnaissants et se préparer, car il y aura d’autres enjeux. Remettant sans cesse l’ouvrage sur le métier il faut continuer à collaborer au plan divin de limitation du chaos et du malheur. Rien de tout cela n’aura de sens si les événements à l’instar du livre de Job ne nous poussent à un combat juste pour l’humanité, pour la sauvegarde de la création, pour la justice et la paix. Il y a encore beaucoup, beaucoup de travail…
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Iconographie
Deux images illustrent cet article.
Job et ses amis, d’un peintre inconnu: « L’innocent ne périt pas, seul le méchant est puni ! » Elifaz, un des amis.
Job et sa femme, Georges de La Tour, Epinal : « Maudis Dieu et meurs ! »